Alain Musset
Mort à la ville innovante, inclusive et équitable ! Regards critiques sur le 7e Forum Urbain Mondial (Medellín, Colombie, avril 2014)
Article mis en ligne le 11 novembre 2014
dernière modification le 29 septembre 2014

par C.P.

En avril 2014 s’est tenu le 7e Forum Urbain Mondial (World Urban Forum — WUF) dans la ville emblématique de Medellin, présenté depuis une dizaine d’années comme un modèle d’urbanisme social après avoir été surtout connue pour être une des capitales mondiales de la violence et du trafic de drogue. Ce type de grande messe est une occasion pour tous les acteurs du développement durable, de la ville inclusive, de l’innovation et de la résilience de venir présenter leurs analyses et leurs produits (équitables, forcément équitables) entre deux petits-fours et une coupe de champagne (figure 1).

Pendant ce temps, sur le campus de l’Université d’Antioquia dont les enseignant-es et les étudiant-es sont connu-es pour leur fort engagement politique, se tenait le Forum Social Urbain Alternatif et Populaire, dans des conditions beaucoup moins officielles et beaucoup plus précaires (figure 2). Le même sujet, donc, mais deux visions du monde difficilement conciliables — et d’autant moins conciliables que le FSU accueillait aussi les habitants pauvres de ces villes que le WUF voudrait réformer pour les rendre compatibles avec un capitalisme à visage humain.

Invité pour la première fois à participer à cet événement planétaire organisé par l’ONU en collaboration avec le service marketing de la ville de Medellín [1], j’ai pu constater que le World Urban Forum n’était rien d’autre qu’un grand supermarché de la pauvreté urbaine essentiellement destiné à donner bonne conscience à ses organisateurs et à ses participants, presque tous convaincus de penser et d’agir pour le plus grand bien des groupes les « moins favorisés » (délicieuse litote destinée à éviter de parler de classes sociales dominées).

C’est ainsi que, à condition d’avoir son accréditation et de réussir à passer les barrages tenus par des gardes privés et par des contrôleurs de l’ONU, chacun peut aller puiser dans les pavillons de la foire les idées et les produits indispensables pour atténuer ou pour masquer les effets des inégalités socio-économiques sur les populations dites « vulnérables » (autre litote consensuelle pour ne pas utiliser le mot « pauvres »).

En effet, il ne s’agit pas seulement de vendre des gadgets comme les téléphériques urbains (figures 3 et 4) ou les maisons écologiques en bois
de récupération, mais aussi de recycler des idées qui ont été révolutionnaires en leur temps mais qui font aujourd’hui partie de la doxa néolibérale, tel le « droit à la ville » d’Henri Lefebvre. S’il devait se retourner dans sa tombe chaque fois qu’un aménageur urbain utilise cette formule honteusement détournée, dévoyée et vampirisée, Lefebvre serait depuis longtemps transformé en ventilateur.

Il n’est d’ailleurs pas le seul dans ce cas et toute une série de notions ou de concepts originellement conçus ou expérimentés dans le champ de sciences sociales font désormais partie du vocabulaire politique ou pour mieux dire du discours politiquement correct. C’est en particulier le cas de la justice, de l’équité, de l’inclusion ou de la résilience dont le contenu a été largement édulcoré, pour ne pas dire adultéré, afin de les transformer en simples slogans au service de nouvelles politiques urbaines en quête de légitimité internationale. En folklorisant les universitaires ou les penseurs qui ont engagé une réflexion critique sur les sociétés contemporaines (cette manie typique de la petite bourgeoisie intellectuelle), les vampires à cravate des grandes corporations savent comment sucer leurs idées pour en faire des produits globalement inoffensifs mais qui peuvent rapporter gros sur le plan symbolique et financier (figure 5).

Figure 5. À qui profite la ville innovante, inclusive et équitable ? La liste officielle des sponsors du World Urban Forum de Medellín inclut de grandes entreprises philanthropiques comme Arcadis, GDF-Suez, Veolia, Siemens, Lafarge… (cliché : Alain Musset, 2014).

L’autre option est de disqualifier un mot qui pourrait rappeler de mauvais souvenirs. C’est le sort actuel de ce concept passé de mode et réservé aux dinosaures qui se vautrent toujours dans la fange du marxisme : l’égalité. Depuis les travaux de John Rawls, il est généralement admis que l’égalité doit être remplacée par l’équité, car l’équité est juste alors que l’égalité ne l’est pas. Il est à cet égard révélateur que même sur le stand de l’Université d’Antoquia, c’est l’équité qui était mise à l’honneur dans un slogan encore une fois très consensuel, Convivencia con equidad, traduit en anglais par Coexistence with Equality, ce qui est un contresens idéologique. En effet, pour respecter la terminologie de Rawls, la traduction exacte d’equidad (équité) n’est sûrement pas equality (égalité) mais fairness.

Cependant, si l’étymologie d’équité renvoie à une possibilité de mesure [2], celle de fairness s’inscrit plutôt dans le domaine du ressenti et de l’émotion, ce qui la rend difficilement quantifiable. On peut à cet égard évoquer l’autre acception de fairness qui en dit long sur les rapports qu’une culture entretient avec sa langue, puisque fairness signifie aussi « blondeur », « blancheur », comme dans l’expression douceâtre My fair angel. Si on prend au pied de la lettre le titre du livre de John Rawls, Justice as Fairness, on pourrait en conclure que dans les mondes anglo-saxons la justice est blonde — en plus d’être aveugle ! Ce n’est sûrement pas Martin Luther King qui aurait dit le contraire.

Si tous les participants au World Urban Forum s’accordent donc pour regretter les inégalités socio-économiques qui caractérisent les sociétés actuelles (ce qui ne les distingue pas des sociétés passées), il n’est pas question pour eux de prendre le mal à la racine et de parler d’égalité, comme s’il s’agissait d’une grossièreté (figure 6). Or, en considérant comme indépassable la notion d’équité, on accepte de manière implicite ou explicite le cadre idéologique du capitalisme néolibéral qui rejette l’idée même d’égalité. Cette notion dangereuse risque en effet de remettre en cause la légitimité de structures sociales inégales qui seraient fondées, comme chez John Rawls, sur les capacités supposées « naturelles » et « personnelles » des individus (« nos dons innés sont les nôtres et pas ceux de la société » [3]) – oubliant que les supposées capacités naturelles des individus sont aussi et surtout le produit d’une société à un moment donné de son histoire et le reflet de son idéologie.

Figure 6. L’équité urbaine comme moteur du développement. Panneau du 7e World Urban Forum (cliché : Alain Musset, 2014).

C’est ainsi que le 7e WUF est resté centré sur quelques notions clefs présentées comme porteuses d’avancées sociales mais qui ne sont rien d’autres que des formules rhétoriques destinées à masquer les véritables enjeux des programmes de « réhabilitation » urbaine – sans parler des plans de rénovation ou mieux encore de « reconquête » dont Jean-Pierre Garnier, entre autres, a déjà fait la critique.

Dans ce petit bréviaire de l’aménageur sensible aux malheurs du peuple, on trouvera en première ligne l’innovation présentée comme la panacée qui permettra de rendre la ville à la fois plus juste et plus compétitive (figure 7). En 2013, City Group, le Wall Street Journal et l’Urban Lanscape Institute ont d’ailleurs accordé à Medellín le titre de la ville la plus innovante du monde (devant New York et Tel Aviv), en particulier pour récompenser sa politique audacieuse dans le domaine des transports collectifs (figure 8). Mais il n’y a pas d’innovation sans créativité puisque l’une se nourrit théoriquement de l’autre. C’est pourquoi les autorités locales ont décidé de créer dans le nord de la ville un grand District technologique et d’innovation appuyé sur le campus de l’Université d’Antioquia (figure 9). Il s’agit pour ses animateurs d’inscrire Medellin dans la compétition mondiale en suivant les recommandations de l’inventeur de la classe créative, Richard Florida (The Rise of the Creative Class, 2002), ce qui devrait lui permettre de renforcer sa production de capitaux symboliques.

Figure 9. Plan de localisation des sites abordés dans cet article.

Ce nouveau District s’articule autour d’un équipement de grande échelle consacré au développement des activités de la connaissance. Un bâtiment emblématique, Ruta N, marque de son empreinte le nouveau paysage urbain des trois quartiers concernés par cette grande transformation : Sevilla, El Chagualo et Jesús Nazareño (figure 10). Bien entendu, il ne s’agit pas du tout de « gentrifier » le quartier ou de le « dépeupler » (au sens sociologique et non démographique), pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Garnier [4]. Cependant, il n’y aura pas de place dans l’avenir pour les petits ateliers de mécanique (très peu concernés par l’idéologie réformatrice de l’innovation) qui forment le tissu économique de cette zone populaire situé à la bordure du centre-ville.

Ce sont plus de 60 000 habitants qui sont concernés par ce grand projet,
60 000 habitants qui n’appartiennent pas à la classe créative et qui devront donc laisser progressivement la place aux designers, informaticiens, traders, publicistes, chercheurs et autres bons génies contemporains de la « ville marketing » [5]. Leurs idées novatrices permettront de revitaliser un tissu urbain considéré comme déprécié parce qu’il permet à des presque pauvres de vivre dans un territoire stratégique qui, selon les autorités municipales, mérite beaucoup mieux (figure 11).

Les mêmes causes produisant (presque) les mêmes effets, l’innovation dans le secteur des transports n’a pas toujours les vertus qu’on veut bien lui prêter — et qu’il est malséant de vouloir contester. C’est ainsi qu’un des programmes phares de la Municipalité de Medellín a été la réalisation d’escaliers mécaniques dans un secteur particulièrement pauvre, marginalisé et violent de la ville, la Comuna 13. L’effet de ce nouvel équipement est incontestable car on peut désormais pénétrer dans une zone qui, avant sa mise en place, était très difficile d’accès — et pas seulement à cause de sa topographie accidentée.

Les habitants du quartier bénéficient maintenant d’un mode de déplacement insolite qui était jusqu’alors plutôt réservé aux clients essoufflés des centres commerciaux. On en a profité pour améliorer les espaces publics, équiper les maisons situées sur le trajet, orner les murs avec de jolies peintures murales – et préparer les visites admiratives des participants au 7e Forum Mondial Urbain, ravis de visiter un petit village Potemkine perdu au milieu de la jungle urbaine (figures 12 et 13).

Cependant, l’innovation ne fait pas tout et le marché foncier a des raisons que l’urbanisme social fait semblant d’ignorer. Il est vrai que ce secteur autrefois marginalisé de la ville fait maintenant partie des circuits touristiques grâce à ses escaliers présentés comme un véritable monument qu’il ne faut pas rater quand on visite Medellín – comme le Sacré Cœur à Paris ou le Christ du Corcovado à Rio de Janeiro. Ce ne sont pourtant pas toujours les premiers habitants de la zone qui en profitent, en grande partie à cause du système instauré en Colombie afin de compenser les inégalités de revenus au sein de la population.

En effet, celle-ci est divisée en six estratos (strates socio-économiques) dont les niveaux sont calculés en prenant en compte la qualité des lieux de résidence et le niveau des services dont ils bénéficient. Les strates 1 et 2 (presque les deux tiers des foyers à l’échelle de la Colombie) bénéficient de subventions et paient moins cher leur accès à l’eau et à l’électricité, par exemple. En revanche, quand on habite dans un secteur de niveau 5 ou 6 (environ 3 % des immeubles recensés), le prix des services urbains est majoré.

Si un quartier très pauvre bénéficie d’un programme d’amélioration de l’habitat, comme dans la zone de la Comuna 13 où l’on a construit les escaliers mécaniques, il passe donc automatiquement dans la catégorie supérieure sans que les habitants voient leurs revenus augmenter. Ne pouvant pas faire face à la baisse des subventions et à l’augmentation du coût des services, les familles les plus vulnérables aux diktats des politiques publiques doivent donc déménager et s’installer plus loin – phénomène qui a déjà touché la Comuna nororiental de Medellín (Andalucía, Popular, Santo Domingo Savio), où a été installée la première ligne du metrocable (ligne K) [6]. En passant de la strate 1 à la strate 2 (et peut-être 3) ce remplacement de familles misérables par des familles pauvres ne mérite sans doute pas le qualificatif de « gentrification » : tout au plus peut-on parler d’un phénomène de sous-gentrification qui met en concurrence, sur le même territoire, des groupes sociaux défavorisés manipulés par la classe dominante — ce qui lui permet, consciemment ou non, de diviser pour régner.

C’est ainsi qu’il suffit de dépasser les limites de la zone directement reliée au nouvel équipement pour retrouver les paysages urbains typiques de l’informalité et de la misère. Dans la Comuna 13, les visites touristiques s’arrêtent à la plate-forme qui marque le point final des escaliers mécaniques. Si on s’aventure un peu plus loin, les façades multicolores d’Eduland [7] sont remplacées par un gigantesque amoncellement de baraques construites en matériaux précaires qui se pressent les unes contre les autres (figure 14).

De la même manière, dans le nord-est de la ville, les espaces situés à proximité des stations ont incontestablement été transformés par l’arrivée de la ligne K du metrocable : les commerces ont fleuri, les rues se sont animées, on se presse pour aller visiter un des plus beaux centres culturels de la ville, la bibliothèque d’Espagne. Presque tous les habitants interrogés se déclarent fiers de cette opération qui a changé l’image de leur quartier. En revanche, les oubliés de la réforme urbaine et les victimes du marché foncier continuent à s’entasser sur les pentes abruptes qui dominent la vallée et que surplombent les cabines du téléphérique urbain conçu en théorie pour leur accorder le droit à la ville (figure 15).

Ces effets pervers de l’innovation salvatrice (très rentable sur le plan du marketing urbain) touchent en priorité les classes sociales les plus démunies — ce qui n’est pas étonnant dans une ville qui parle beaucoup d’équité mais qui, en 2013, malgré les efforts réalisés pour tenter de réduire la fracture sociale entre riches et pauvres, a été reconnue par une étude d’ONU-Habitat comme la plus inégalitaire du pays (et une des plus inégalitaires d’Amérique latine — l’Amérique latine était le continent le plus inégalitaire de notre petit monde globalisé).

Conséquence directe de cet éclatement des territoires urbains, le mythe de la ville inclusive ne semble plus faire recette que dans les salons du WUF, les cabinets d’urbanisme et les couloirs sans fin des municipalités supposées progressistes. Or, pour comprendre les mécanismes qui aboutissent à l’exclusion (ou au confinement) de certains groupes sociaux par d’autres, il est important de ne pas inverser l’ordre des facteurs. Comme le disait en son temps Henri Lefebvre, ce n’est pas la ville qui fait la société, c’est la société qui fait la ville. En tant qu’expression matérielle d’une idéologie, celle-ci met en scène et impose sur un territoire (et dans des formes architecturales), les idées, les principes et les préjugés d’une société donnée à un moment de son histoire. C’est pourquoi il est illusoire de penser que l’on peut réduire les inégalités sociales en s’attaquant aux formes urbaines : autant essayer de peindre sur un miroir afin de corriger les défauts du visage qui s’y reflète.

Que signifie donc le mot inclusion pour ceux qui vivent dans les Comunas périphériques de Medellín ? Même s’ils habitent dans des marges considérées comme « à part » du système urbain, ils sont généralement inclus dans des circuits économiques spécialisés qui exploitent au maximum leur force de travail. On pourrait à cet égard prendre le cas de la plus grande décharge de Medellín, Moravia, sur laquelle et de laquelle vivaient près de 15 000 personnes dans des habitations de fortune, avant qu’elles ne soient progressivement délogées au cours des années 2000 afin de transformer cette montagne d’immondices en grand jardin public.

L’opération a été menée pour sauver ces populations à risque d’un environnement délétère mais aussi pour s’emparer d’un territoire stratégiquement placé au pied du métro Caribe, au nord du Parc Explora et dans la continuité du nouveau District technologique d’innovation incarné par Ruta N. Si le gigantesque tas d’ordures commence aujourd’hui à faire place à un vaste espace vert chargé d’histoire collective et d’histoires individuelles, certains irréductibles n’ont pas renoncé à vivre sur place (figures 16 et 17). Les autres ont été déportés dans la lointaine périphérie, à Pajarito, alors qu’on leur avait promis qu’ils seraient relogés à proximité de leur ancien lieu de résidence [8].

Le problème est qu’ils sont désormais installés loin du centre, loin de leur ancien lieu de travail (même s’il s’agissait d’un travail réalisé dans des conditions infrahumaines), loin de leurs lieux de mémoire et de leurs réseaux de sociabilité et qu’ils se sentent plus que jamais exclus de la vie et de la ville dont ils avaient rêvé. Certains ont même commencé à revenir dans la zone qu’ils avaient été obligés d’abandonner, comme me l’a confirmé Mauricio, ingénieur environnementaliste chargé de la mise en valeur écologique du site de l’ancienne décharge, lors d’une entrevue réalisée sur place le 10 avril 2014.

Ce ne sont pourtant pas les références à l’inclusion qui manquent dans les discours des tenants de l’urbanisme social développé à Medellin depuis 2004 et l’arrivée à la tête de la municipalité d’un maire réformateur, Sergio Fajardo, désireux d’en finir avec les fractures sociales et spatiales qui caractérisaient la capitale du département d’Antioquia. Parmi d’autres recettes urbanistiques, il s’agissait d’établir dans les espaces les plus défavorisés de la ville des infrastructures et des équipements de qualité qui pourraient, par leur seule présence, changer la vie des habitants et en faire des citoyens à part entière. C’est ce qu’affirmaient en 2008 les auteurs de l’ouvrage Del medio a la esperanza (De la peur à l’espoir), publié par la mairie de Medellín, dans un chapitre judicieusement intitulé Inclusion pour les plus humbles : « Nous avons contribué à l’inclusion sociale, à la formation et à l’empowerment des citoyens, et à la transformation des formes de gouvernement grâce à un schéma participatif et à l’application d’une politique publique cohérente avec les demandes de la population » [9].

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, sans avoir à changer les structures de la société qui a formaté des territoires urbains aussi inégalitaires. Plutôt que de s’attaquer aux racines de la pauvreté, essayons de rendre les pauvres heureux (et mieux disposés à accepter leur sort).

C’est sans doute parce qu’elle manquait de volonté et de sens des affaires que María Rosalba, participante au Forum Social Urbain, a été chassée de chez elle, dans la Comuna 1 (Popular — là où a été installé le premier metrocable), et qu’elle a dû trouver refuge avec sa famille dans un logement miteux de la Comuna 8 (Villa Hermosa), composée à presque 70 % de constructions précaires appartenant aux estratos 1 et 2 [10]. Comme elle n’avait pas de titre de propriété, on l’a expulsée sous prétexte qu’elle vivait dans une zone à risque. Son mari avait pourtant acheté une petite machine pour faire des churros dans la rue, preuve de sa volonté d’entreprendre dans un monde plein d’opportunités, mais il avait dû la revendre parce que les traites à payer étaient trop lourdes…

***

Ce n’est donc pas étonnant si les participants du Forum Social Urbain Alternatif et Populaire de l’Université d’Antioquia ont placé la question de l’habitat et de la dignité humaine au centre de leurs discussions et si l’événement de clôture a été la mise en place d’un Tribunal international sur les expulsions (figures 18 et 19). Dans leur déclaration finale, très éloignée des accents triomphalistes du World Urban Forum et exempte de ces trois mots magiques que sont « inclusion », « innovation » et « équité », ils s’attaquent à la source du problème qui, encore une fois n’est pas la ville elle-même, cette entité malléable et dépourvue de volonté propre, mais bien à ceux qui la font et qui en tirent profit : « Nous dénonçons le modèle actuel de développement urbain néolibéral, fondement du sommet ONU-Habitat III de 2016, parce qu’il est excluant, antidémocratique, insoutenable et dangereux pour la vie de la planète et de l’humanité. Dans leur grande majorité, nos villes sont dessinées et gouvernées par les intérêts liés à l’accumulation des capitaux » [11].

Cependant, comme l’a montré Guillermo Rodríguez en présentant l’expérience de San Miguel de Otongo (Mexique), communauté alternative, soutenable et autogérée, une autre forme de ville est possible à condition de penser de manière différente la société qui la conçoit et qui l’habite (figure 20).
La lucha continua

Figure. Le philosophe et sociologue Guillermo Rodríguez au Forum Social Urbain de Medellín (cliché : Alain Musset, 2014).