La Percée. Roman d’un fantassin 1914-1915
Jean Bernier (Agone)
Article mis en ligne le 30 mars 2014
dernière modification le 25 janvier 2014

par C.P.

Maintenant que le silence est retombé sur ce premier hiver pour la raison très simple que presque tous les fantassins qu’il crucifia furent tués par la suite, maintenant que la victoire laisse tout de même les moins sensibles hagards devant notre monceau de morts enfin avoué, ne faut-il pas au survivant qui, pour sa torture n’a rien oublié, crier ce qu’il n’a pu crier pendant la guerre sans être qualifié de fou ou de traître ? Ne faut-il pas venger ceux qui ne tombèrent pas mais pour l’entêtement ou l’amour propre imbécile de quelques généraux ou de quelques ministres ?

Horrible et magnifique lucidité, don de la solitude devant la mort, je suis trop petit pour te contenir : je ne veux pas mourir et le mystère irrémédiable m’épouvante.

J’ai vu la vie lors de ma permission et j’en garde un sou­venir adorable.

   J’ai des appétits de joie immenses à satisfaire, mon capital de bonheur n’est pas amassé, je n’ai pas fait fortune, et ne sais rien qu’une chose : ce serait merveilleux si je pouvais en revenir.

Rêve inaccessible ! pourquoi t’ai-je entrevu ? Je dois mourir pour rien, idiotement, mourir comme je fais un demi-tour à droite, par discipline, en bon soldat qui exécute un ordre.

Et la phrase du sergent Armand crie dans ma tête : « Les fils de fer sont tellement intacts que je n’ai pas vu le jour à travers. »

Acteur méconnu des avant-gardes politiques et littéraires françaises, Jean Bernier (1894–1975) a nourri ce roman, paru en 1920, de son expérience de fantassin de la Première Guerre mondiale. Aux yeux de son contemporain Jean Norton Cru, La Percée est « sans conteste le meilleur des romans de guerre au point de vue de l’historien ».