Philomène Le Bastard
Syngué Sabour (Pierre de patience) de Atiq Rahimi
Article mis en ligne le 21 mars 2013
dernière modification le 14 mars 2013

par C.P.

Inoubliable, lucide, émouvant, Syngué Sabour (Pierre de patience) de Atiq Rahimi [1] est un chef-d’œuvre [2]. Magnifiquement adapté de son roman par lui-même et Jean-Claude Carrière, le film possède cette force simple et directe d’un cinéma sans fioritures ni effets spéciaux pour en masquer ou en agrémenter le propos. Tout est dit simplement sur la condition des femmes dans un pays dominée par la phallocratie délirante et la violence. La vie ne compte plus.

Dans Kaboul ravagée par les conflits entre factions de miliciens, une jeune femme tente de survivre au quotidien avec ses deux petites filles et préserver son époux dans le coma. Son quartier est bombardé, l’eau manque et, sans argent, elle ne peut obtenir de médicaments pour le blessé.

Golshifteh Farahani joue le rôle de la jeune femme afghane et confirme là son immense talent dans une interprétation remarquable. On la savait une comédienne hors du commun, notamment pour son rôle dans À propos d’Elly de Asghar Farhadi, mais dans Syngué Sabour (Pierre de patience) elle se surpasse encore et tient littéralement le film à bout de bras.

Peu à peu, la jeune femme livrée à elle-même, se confie à son époux inconscient. De temps en temps, le mollah lui rend visite pour, en guise d’aide, lui conseiller de prier, mais elle n’est pas dupe et parle, dans le long monologue qu’elle tient avec son époux, de sa lâcheté. La famille de son mari l’a abandonnée avec le mort en sursis, sinon l’un des frères, qui songeaient depuis longtemps à lui sauter dessus, l’aurait épousée. Après l’assassinat de ses voisins par des miliciens, elle se réfugie chez sa tante avec ses deux filles, mais revient chaque jour pour prendre soin du blessé.

Chaque jour la parole se délie un peu plus et le malade devient la pierre de patience, la pierre magique que sa tante lui décrit comme une légende et une voie de délivrance. L’époux inconscient, blessé par une balle dans la nuque par un combattant de son clan à la suite d’une altercation, devient alors le confident des désirs, des frustrations, des souffrances, des peurs et des blessures de sa compagne. C’est d’abord l’enfance avec un père violent et joueur qui vendra une de ses filles pour honorer une dette, puis le mariage arrangé à 17 ans ans avec un homme absent pour cause de combats. À la place de l’époux, sera placé son poignard. Sa belle-mère, gardienne de l’honneur de la jeune femme, va perpétrer la tradition et lui mener la vie dure jusqu’à la « consommation » du mariage seulement destiné à la procréation. La femme n’est qu’un ventre et l’unique responsable de la fertilité du couple. On songe évidemment à Osama de Sedigh Barmak, film bouleversant sur une fillette afghane de 12 ans qui se travestit en garçon pour échapper au fanatisme religieux [3].

« Les hommes qui ne savent pas faire l’amour, font la guerre », commente la tante qui est la sage du film et qui s’est battue pour se libérer du carcan familial. C’est elle aussi qui, avec cette ironie mordante, fait des blagues que la jeune femme rapporte dans son monologue quotidien. Avec ce personnage de la tante, il faut souligner la justesse des seconds rôles et leur importance dans le récit. De même le personnage du jeune milicien qui bégaie, orphelin recueilli et maltraité par un vétéran.
Le jeune homme dont elle confiera à sa pierre de patience qu’il accepte ce qu’elle lui apprend de ses désirs, qui lui offre de modestes cadeaux et lui révèle finalement une sexualité jusqu’alors véritable tabou.

Le scénario est parfait et les instants de solitude de la jeune femme avec son mari inconscient sont ponctués par les trajets dans la ville, les incursions des miliciens, les conversations avec la tante qui participe aussi à la prise de conscience de la jeune femme. Une très belle solidarité de femmes, troublante par l’acuité des critiques et des constats sans concessions de la condition des femmes. Une fresque magnifique par le jeu de Golshifteh Farahani et des comédien-nes qui l’entourent, par les images aussi, et par les sujets abordés, qu’il s’agisse de l’absurdité des conflits armés, de la domination masculine, du concept « d’honneur », du poids des traditions.
Un très grand film.