Christiane Passevant
La Mise en procès de Maylis Bouffartigue
11 Mai 2013 à la Salle Jean Dame Paris IIème.
Article mis en ligne le 21 mars 2013
dernière modification le 13 mars 2013

par C.P.

Mise en procès contradictoire du Code noir, du Code de l’indigénat et du Code des étrangers

Proposition et mise en scène : Maylis Isabelle Bouffartigue

Adaptation et extraits :

Coloniser, exterminer, Olivier Le Cour Grandmaison (Fayard)

De l’Indigénat, Olivier Le Cour Grandmaison (Zones)

Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, Louis Sala-Molins (Puf)

Les esclaves noirs en France sous l’Ancien Régime, Marcel Koufinkana (L’Harmattan)

Extraits :

CESEDA, Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Discours : Brice Hortefeux et Éric Besson (anciens ministres de l’Immigration, de l’Identité Nationale et du Développement Solidaire), Claude Guéant (ancien ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités Territoriales et de l’Immigration), Manuel Valls (ministre de l’Intérieur) et François Hollande (président de la République Française).

La Mise en Procès est né de la nécessité de comprendre les mécanismes, les structures et l’organisation qui régissent l’immigration.

Comment et pourquoi certaines tranches de population sont-elles soumises à des codes juridiques d’exceptions ? Comment et pourquoi les lois et le droit sont-ils spécifiques et concernent uniquement des « catégories » d’individus dites à part ? En quoi cela est-il légitime ?

À l’heure où l’étranger est sujet d’actualité, n’oublions pas. N’oublions pas que l’étranger d’aujourd’hui est l’indigène et le nègre d’antan, soumis à la même logique et à la même base idéologique. Une logique mercantile : l’économie a besoin de travailleurs pour se développer et accroître le grand négoce mondial. Les nègres, indigènes et étrangers sont les bras qui nous ont toujours manqué mais ce besoin n’est jamais avoué ni assumé par les gouvernements européens et notamment français. Une logique idéologique qui met en avant l’hégémonie de la race blanche. On maquille ces logiques de considérations religieuses, philosophiques, scientifiques, sociologiques, humanistes, droits-de-l’hommistes selon les époques, pour justifier l’injustifiable, légaliser l’illégalisable, codifier l’incodifiable : l’exploitation de [l’être humain] par [l’être humain] et ce qui l’accompagne : la maîtrise des déplacements et circulations des individus. Les populations que l’on va chercher, puis que l’on parque, puis que l’on refoule, suivant les périodes de l’histoire, mais que l’on enferme toujours à un moment ou un autre parce que considérés comme une menace ; mais que l’on méprise toujours parce que considérés comme des êtres arriérés ou inférieurs et donc de ce fait à part. Une catégorie de personnes à part et donc avec des droits différents.

La Mise en Procès jette des ponts à travers l’histoire pour montrer que l’Histoire se répète, autrement, le droit servant toujours l’économie et l’idéologie, et l’économie et l’idéologie justifiant toujours le droit.

« En un mot, c’est l’arbitraire établi par le droit et au nom même du droit. » Olivier Le Cour Grandmaison.

La Mise en Procès sera à nouveau représentée lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, le 11 Mai 2013 à la Salle Jean Dame Paris IIème.

En avons-nous fini avec la « conception hiérarchisée du genre humain » prônée par l’époque coloniale ?

Certainement non et même bien au contraire, elle est relancée par l’immigration, la peur, la méconnaissance et, depuis un peu plus d’une décennie, par l’utilisation politique de l’islamophobie. Il est vrai que la propagande de la « culture » impériale apportant la civilisation à des
« sauvages » et des « barbares » est profondément ancrée dans la mémoire collective, dans le langage, dans le regard que les populations occidentales, et en particulier française, portent sur les populations nord-africaines, africaines, moyen-orientales… Mais aussi dans les textes.

Depuis les indépendances des pays anciennement colonisés, les traces du mépris n’ont pas diminué et les restes du langage colonial perdure, loin d’être bannis du langage. Des expressions comme « parler petit nègre »,
« casser du nègre », « travail arabe » sont toujours utilisées, souvent inconsciemment. Et l’on peut même entendre de la bouche de certains politiques des théories fantasmatiques et aberrantes sur la taille plus petite des « cerveaux africains » et l’absence d’histoire, qui renforce les discriminations et participe à leur banalisation.

Le « principe même de la domination de la métropole sur les territoires d’outre-mer » a-t-il d’ailleurs jamais été remis en cause ? Le travail de conscientisation des conséquences de la colonisation a toujours été éludé.
De ce fait, l’évolution des mentalités n’a guère progressé. Si l’on prend l’exemple des médias, la différence de traitement des générations issues de l’immigration est assez significative. Les enfants d’immigrés d’Afrique du Nord, pourtant né-es en France, ne sont pas considéré-es comme ceux des immigrés européens. L’allusion aux origines pour les premiers est une indication du racisme latent issu de la colonisation. « Sous des formes diverses et souvent théorisées, [les conceptions racistes continuent] à prospérer et à produire des effets politiques, juridiques et sociaux. »

Noir-chose dont les maîtres pouvaient user, tirer les fruits brutaliser, violenter et aliéner à leur guise …

Indigène-sujet de nos colonies et non citoyen de la IIIème République, soumis à une loi spéciale dite de police …

Étranger aujourd’hui, à la France, à nos cultures et à nos valeurs, régi par un Code qui en réglemente l’entrée, le séjour et le droit d’asile…

Il y a entre ces « catégories » d’individus, par essence juridique et par définition légale, malgré le temps passé, les empires tombés, les territoires remembrés, un lien indéfectible, un instrument de comparaison ultime, une même marque qui traverse l’Histoire, notre histoire.

Esclaves, indigènes et étrangers, ils étaient et sont encore soumis à une législation d’exception, un Code : le Code Noir avant-hier, le Code de l’Indigénat hier et le Code de l’entrée et du séjour des étrangers, et du droit d’asile en France, aujourd’hui.

Tous objets, sujets du droit et étrangers au droit.

EXTRAITS :

Article 111-1 « Sont considérés comme étrangers au sens du présent code (CESEDA) les personnes qui n’ont pas la nationalité française, soit qu’elles aient une nationalité étrangère, soit qu’elles n’aient pas de nationalité »
« L’étranger fait l’objet d’une définition légale : être étranger, c’est ne pas être français. C’est une définition pour le moins réductrice, et de surcroît, négative : ne pas être français, ne pas, n’être pas ... être autre, en somme, différent ... étranger quoi ! Ce premier article dit déjà tout : il porte en lui la définition de l’autre, son essence différente et ce qui va avec, le rejet de l’autre dans une catégorie à part, sa stigmatisation.

Article L 213-1 « L’accès au territoire français peut être refusé à tout étranger dont la présence constituerait une menace pour l’ordre public »,
Article L 313-3« La carte de séjour temporaire peut être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l’ordre public ». Article L 411-6, « Peut-être exclu du regroupement familial un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l’ordre public ».

Article L 521-1 : « L’expulsion peut être prononcée si la présence en France d’un étranger constitue une menace grave pour l’ordre public ». Cette notion juridique de la « menace pour l’ordre public » qui, comme on l’a vu, irrigue l’ensemble du texte. C’est la traduction juridique de la méfiance, de la suspicion, de la peur de l’AUTRE, de la peur de l’étranger.....
Article 15 : « Infractions aux instructions portant règlement sur l’immatriculation des armes ».

Il s’agit d’interdire aux indigènes l’emploi des armes. On en comprend aisément la raison. Même si, bien entendu, la condition de l’indigène ne peut être comparée à celle de l’esclave Cet article 15 du code de l’indigénat fait étrangement écho au même Article 15 du Code Noir (bégaiement de l’histoire) : « Défendons aux esclaves de porter aucune arme offensive, ni de gros bâton, à peine de fouet et de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis ».

Art 20 du Code de l’Indigénat : sont réprimés les : « Réunions sans autorisation pour zerda, ziara ou autre fêtes religieuses ». Code Noir : Art 16 : « Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres de s’attrouper le jour ou la nuit, sous prétexte de noces ou autrement, soit chez l’un de leurs maîtres ou ailleurs, et encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle, qui ne pourra être moindre que du fouet ou de la fleur de lis ».

Il s’agit en effet de soumettre les Arabes, tout comme l’on maintenait les Noirs, sous un joug permanent, indispensable pour prévenir le surgissement de nouvelles résistances ou pis encore, celui d’insurrections coûteuses à tous points de vue. Tel est l’impératif du moment. L’Arabe est potentiellement dangereux. Pour s’en protéger, rien ne vaut mieux que d’en contraindre le mouvement et de réglementer, par le recours à la loi, sa circulation.

Pour finir résumons :

Quand le Royaume au moment des grandes découvertes a déporté des milliers d’hommes sur ses îles d’Amérique, ces hommes sont devenus : des Nègres esclaves importés, les français eux étaient : des maîtres de l’Empire colonial.

Quand le Royaume s’est éteint, la France a su rester Empire, vous êtes allez chez eux ! Et lorsque vous étiez chez eux Madame la République, les français étaient là bas : des français des colonies. Eux, qui étaient chez eux étaient : des indigènes des colonies françaises.

La France n’y est plus. Puisque vous n’y êtes plus Madame la République, ce n’est plus la France ! Lorsque les habitants de là-bas viennent en France, ils sont : des étrangers en France. Et lorsque les habitants Français vont là-bas, ils sont : des Français à l’étranger.

Distribution et participation au débat : Willy Mancel, Hélène Sirven, Cécile Signoret, Maylis Boufartigue (comédien-nes).

Olivier Le Cour Grandmaison : Universitaire, spécialiste de l’histoire coloniale et des questions de citoyenneté.

Louis Sala-Molins : Professeur émérite de philosophie politique à Paris I et Toulouse II.