
Zero Dark Thirty [1], le fameux film, par avance oscarisé pour beaucoup [2] , est arrivé sur les écrans. Réalisé par Kathryn Bigelow et écrit par Mark Boal, le film se déroule entre 2001 et 2011, et c’est plus de deux heures trente à la gloire de la CIA ! Propagande habituelle et redondante avec, d’un côté les bons Étatsuniens et Étatsuniennes, et de l’autre les méchants Arabes, terroristes évidemment, ou bien vendus, ce qui n’est guère mieux. Tous les clichés sont servis à l’extrême dans un scénario au cordeau, avec des gros plans, des travellings élaborés, des mouvements spectaculaires de caméra, un montage pêchu, bref de gros moyens, car le film se veut coup de poing réaliste pour tenir le public en haleine pendant un temps qui, malgré la débauche technique, paraît long, très long…
Quant aux scènes de torture… Elles sont comme un aveu pour s’absoudre et la justification n’est pas loin : il faut pouvoir obtenir des renseignements pour sauver des vies innocentes. Les films étatsuniens ne reculent pas à montrer le pire, enfin d’une certaine manière, et bien scénarisé, mais on peut immédiatement se demander si le fait de montrer la torture génère une prise de conscience… Certainement pas.

La fin justifie les moyens, et si une quelconque réserve risquait d’effleurer les consciences dans la public, la réalisatrice a tout prévu : le film démarre sur un écran noir avec, en bande son, les voix angoissées des victimes du 11 septembre 2001. Une mise en scène destinée sans doute à faire passer les images insupportables de torture et d’humiliations sur un prisonnier supposé jihadiste. Les gentils et courageux agents de la CIA, dont le but unique est de défendre le « peuple » — des humanistes quoi ! — sont glorifiés, de même que sont passées sous silence les exactions et les tueries des armées étatsuniennes en Afghanistan et ailleurs… Pas un mot non plus sur les raisons des attentats — seules les victimes sont évoquées —, rien sur les liens de Ben Laden avec les services secrets étatsuniens, ou sur les enjeux de la présence étatsunienne dans la région. Pourtant la recherche dans les dossiers occupe une grande partie du film. Mais l’ambition de la réalisatrice n’est pas d’analyser de poser des questions ! In God we trust, c’est-à-dire les dollars sont le véritable enjeu, et pour tout dire, il ne manque plus que l’hymne !

Comble de la manipulation, c’est une femme qui mène l’affaire, elle est froide, a voué sa vie à la CIA et, comme il est dit dans le film… C’est une
« tueuse » qui a des couilles et de la morale… C’est Jeanne d’Arc au Pakistan. À la fin de l’opération, après que les « canaris » de l’armée aient dézingué OBL (traduction : Ousama Ben Laden), flingué ses compagnons et quelques femmes aussi qui criaient un peu trop fort, soudain un détail ironique au milieu du carnage, un des soldats crie aux enfants « n’ayez pas peur » !

Pour clôturer cette suite de clichés à la gloire et au patriotisme US, on a droit à l’émotion de l’héroïne. La réalisatrice s’est alors surpassée pour dernier plan : les larmes de la « tueuse » pour une fin morale de l’histoire et le fameux « Tirer et ensuite pleurer », SHOOT AND CRY !

C’est un film — vendu comme « la plus grande chasse à l’homme de l’histoire » — à ne pas voir. À remarquer que, dans une salle comble, il n’y avait pas une seule personne « issue de l’immigration » comme on dit ! Il est vrai que cette propagande plein écran et l’avalanche de clichés sur les Bad Arabs, ça exclut et c’est pénible. À la sortie, les conversations saisies illustraient l’intérêt du film : « combien de balles avaient été tirées sur Ben Laden ? » et « s’était-il caché derrière sa femme ou non ? »… Vous l’aurez compris : passionnant, côté prise de conscience !