Isabelle Vignaud-Manciet
Auxiliaire de vie (d’Envie) chez ALENVI
Membre du Collectif National et régional IDF de la force invisible des aides à domicile
Je suis l’intruse qui arrive chez vous.
Celle qui entre dans votre intimité, celle que vous ne connaissez pas, celle qui doit se faire accepter.
Vous êtes en colère, les intervenants changent sans cesse, vous devez répéter toujours la même chose, la place des affaires, les habitudes que vous avez.
Et moi je suis là, je vous écoute, j’écoute vos angoisses, vos appréhensions, vos craintes et je comprends mais ne dis mot. Je vous laisse décharger votre colère car je sais qu’elle n’est pas contre moi.
Puis je prends la parole, je vous dis, je vous comprends, cela ne doit pas être facile pour vous, j’essaie de vous rassurer, mais je sais que ce ne sont que des paroles pour vous et que seuls mes gestes, ma façon d’être avec vous, mon attention pourra vous convaincre. Il faut du temps, pour s’adapter, se déshabiller devant une inconnue, se faire toucher, se faire aider, accepter de ne plus être capable de faire les gestes habituels seuls, accepter de diminuer, accepter de vieillir tout simplement.
Vous me regardez et me dites comme je suis grande et élégante, une belle femme et là je comprends que je suis l’image que vous regrettez, vous qui avez perdu quelques centimètres, qui avez des rides, des cheveux blancs, qui vous déplacez difficilement.
Un peu contrainte, vous me dites de rentrer, vos déplacements sont lents, je vous sens un peu énervée angoissée.
Vous me dites que vous vous débrouillez seule pour votre toilette, je sais que ce n’est pas vrai, mais je ne peux pas vous forcer. Je continue à discuter avec vous, j’essaie de vous mettre en confiance.
Vous me parlez de vos enfants et petits enfants.
Et Votre visage se radoucit, je vous souris, je vous demande ce que vous faisiez et me répondez professeur de français. La conversation s’installe tranquillement, vous me demandez si j’ai des enfants, vous commencez à vous intéresser à moi et cela me plait.
Mais vous ne comprenez toujours pas pourquoi je suis là et me répétez encore et encore que vous n’avez rien demandé. Je me tais à nouveau et vous écoute attentivement.
Petit à petit, vous exprimez votre angoisse quant à vos pertes de mémoires, vos difficultés dans vos déplacements et votre solitude.
Je vous explique alors, que je suis là pour vous aider à ne plus vous sentir seule.
L’heure passe, angoissante pour vous dans les premières minutes puis petit à petit plus apaisante.
Je vous dis que je dois partir, je dois aller chez une autre personne, mais si vous le désirez je reviens demain.
Vous acceptez.
Vous m’accompagner jusqu’à la porte, Nous nous disons au revoir, je vous tends la main, vous me tendez la votre, je vous souris, vous me souriez. Et je vous laisse, là, dans cet appartement, seule face à vous même, en espérant que votre journée ne sera pas trop pénible, tout en sachant qu’indubitablement, elle le sera, de solitude.
Et pourtant, vous habitez Paris, dans un immeuble rempli de locataires qui oublient qu’au 6ème étage, au dessus d’eux, en dessous, une femme vit esseulée, sans plus d’amitié, puisque tous morts, dont la famille est éloignée. Pas un ne s’intéresse à cette femme, trop vieille pour eux, trop ridée, trop courbée.
De son appartement, elle entend le bruit des pas au dessus, les cris, les rires des enfants, mais c’est comme dans un rêve, elle ne voit jamais personne, personne ne sonne à sa porte, lui demande si tout va bien, parler un peu avec elle, lui demander si elle a besoin de quelque chose.
Elle fait partie d’une vie sans y être complètement, telle un fantôme, une ombre, dans cet immeuble parisien de la rive gauche. Pourtant elle en a aidé des personnes. Pourtant sa vie est passionnante et personne ne lui rend ce qu’elle a pu donner.
Pourtant elle est pleine d’humour et attachante, pourtant, pourtant, elle est une femme avant d’être vieille, elle a connu avant nous les joies, un homme l’a aimé, touché, caressé, elle a eu des enfants, ceux là un jour ont quitté le nid familial, elle a continué à partager sa vie avec son époux, son amour qui un jour s’en est allé et c’est alors que tout s’est arrêté. Cette femme c’est vous, c’est moi, c’est nous, cette femme qui maintenant a un certain âge mais qui n’en reste pas moins une femme.
Et demain, je retournerais voir cette femme, je recommencerais à lui expliquer pourquoi je suis là, sans cesse je serais obligée de répéter. J’essaierai de lui apporter un peu de réconfort et petit à petit mon visage lui dira quelque chose.
Elle se dira en me voyant qu’elle connait cette jeune femme, elle se sentira rassurée, enfin je l’espère.. Cette femme se sera peut-être moi dans quelques années et j’aimerais que quelqu’un fasse attention à moi, au lieu de me fuir.
Cette femme a envie encore de rire, de pleurer, de penser, de parler et non de radoter de solitude.
Cette femme a encore envie d’exister.