Monsieur Deligny
Film documentaire de Richard Copans (18 mars 2020)
Avec Gilles, Christophe, Malika, Omar, Brigitte, Gisèle Durand-Ruiz, Jacques Lin, Jean-Pierre Daniel et les voix de Jean-Pierre Darroussin, Matthieu Almaric, Sarah Adler

Instituteur devenu éducateur, réalisateur et auteur, Fernand Deligny s’occupa d’adolescents aux prises avec l’enfermement (délinquants et prison, au-tistes et hôpitaux). Touche-à-tout et iconoclaste, il mit son engagement à l’écoute de l’autre. Une vie et un film documentaire exemplaires.
“Ni vraiment médecin ni vraiment éducateur”, mais bel et bien instituteur et communiste, Fernand Deligny passa sa vie de 1938 (instituteur dans l’asile d’aliénés d’Armentières) à sa mort en 1996 au hameau de Graniers (Cévennes) à héberger, protéger, comprendre et réinsérer les adolescents confrontés à l’enfermement physique (délinquants) ou psychotiques (autistes). Mais aussi à apprendre d’eux. Pour ce faire, il n’aura de cesse de fuir les institutions et les discours conventionnels. Refusant même un poste proposé par Simone Veil, Ministre de la Santé, alors que cette promotion l’aurait sorti de la précarité.

Auteur de quatre films et de romans, l’un de ceux-ci, Adrien Lomme (1958), l’amènera à nouer une amitié épistolaire, humaine et filmique avec François Truffaut lequel, suite à leurs discussions, changera la fin initiale de ses 400 coups avant de produire Ce Gamin-là, écrit par Deligny et réalisé par Renaud Victor !
C’est ce parcours atypique que nous suivons entre images de films, d’archives, de paysages – notamment des Cévennes , de ses activités, de reconstitution et de témoignages de fidèles (Gisèle Durand-Ruiz, Jacques Lin et Jean-Pierre Daniel), au rythme dynamisant d’un commentaire lu par la voix chaude de Jean-Pierre Darroussin et de plans signifiants, tel cette colonie de fourmis illustrant le “chemin d’erre” suivi par des autistes et compréhensible d’eux seuls. Ce moment est sans doute le plus intime de l’esprit de Fernand Deligny. En effet, “Le déjà-vu peut affleurer s’il est évoqué. Il contient ce qui est manifesté.
C’est un chef d’œuvre, en fait relève-t-il, alors que Jean-Marie, autiste de 12 ans, prend mystérieusement en charge d’aller chercher avec un seau de l’eau à la rivière pour en alimenter leur maison. “Nous vivons dans le temps, ils vivent dans l’espace” note-t-il encore. C’est sans doute cette notion d’espace, donc de liberté, qui est ici révolutionnaire. Car il devient un territoire “comme lieu d’asile où vivre à l’abri de la parole”. La parole et la communication. Point nodal et commun à ces adolescents “sans nous”. Deligny nous amène de fait à comprendre que le corps et les gestes sont des langages en soi ne nécessitant pas une structure verbale pour s’exprimer. Qu’il convient de guetter les signes (à l’instar des prophètes) pour approcher leur vérité. Sans doute ce qui explique l’aspect sacerdotal de son engagement et que, passant par-delà les mots comme il le fit des préconçus,

il rebat le discours en kabbaliste du langage : “permettre n’est pas donner la permission mais les moyens d’exister ! ”“Agir n’est pas faire” “Jean-Marie n’est pas IL. S’il était IL, il ne serait pas autiste”… Un bain de jouvence intellectuel et humaniste qui nous pénètre et nous vivifie et trouve son acmé quand il commente un enfant tournant sans relâche sur lui-même : “Se cherche-t-il ? Et si c’était au-delà du mal ? Par-delà le Bien et le Mal qui sont affaires de parole ? C’est nous qu’il cherche”. Après la distance et le territoire, jeu sur le langage et sur l’image. On l’aura compris au fil de son film qui met en abîme le vécu de Deligny et son propre commentaire, Richard Copans dessine, entre philosophie et spiritualité, un troublant et bienfaisant questionnement sur l’être et l’existence. Doublé d’une formidable approche des notions d’engagement et de vocation. Jusqu’à être une lumineuse et édifiante leçon sur ce que veut dire aimer pour ne jamais confondre compassion et empathie.