Christiane Passevant
Tu mourras à 20 ans de Amjad Abu Alala (12 février 2020)
Article mis en ligne le 11 février 2020
dernière modification le 17 février 2020

par C.P.

Tu mourras à 20 ans
Film de Amjad Abu Alala (12 février 2020)

Dans un village du Soudan, au cours d’une cérémonie, la mère de Muzamil présente son nouveau né au chef religieux, qui lui prédit la mort de l’enfant à 20 ans. À l’annonce de cette malédiction, le père de l’enfant part travailler à l’étranger et Sakina, la mère, élève seule son fils, le couvant de toutes ses attentions. Muzamil vit à l’écart des autres enfants, ne va pas à l’école, « à quoi bon apprendre s’il doit mourir ? dit sa mère. Pourquoi perdre du temps à lire d’autres livres que le Coran ? » Muzamil grandit et lorsqu’il a 19 ans, l’échéance fatale est proche…

« Le film montre comment une forte croyance peut affecter la vie des gens, [explique Amjad Abu Alala] — et la façon dont cette foi peut être instrumentalisée politiquement. Le gouvernement soudanais d’Omar el-Béchir a utilisé l’Islam pour faire taire le peuple — quand quelqu’un dit "C’est la parole de Dieu", plus personne ne peut parler... Mon film est une invitation à être libre. Rien ni personne ne peut vous dire : voici votre destin, il est écrit quelque part. C’est à vous de décider ce que sera votre vie et c’est ce que Suleiman essaye d’expliquer à Muzamil. »

Tu mourras à 20 ans se présente comme une fable philosophique à la manière des Mille et une nuits, c’est un film sur l’émancipation, ancré dans la réalité soudanaise, que l’on connaît trop peu. Et c’est également un film où il est question de cinéma, puisque l’on peut voir des images du film documentaire Khartoum de Jadallah Jubarra, cinéaste très connu d’avant le régime islamique.

Amjad Abu Alala dit avoir écrit son film avant la révolution, « la liberté a toujours été mon sujet. On a commencé à tourner à la mi-décembre 2018, le jour même où la première étincelle de la révolution s’est enflammée dans le nord du pays, à Atbara. Sur le plateau, tout le monde était survolté. Même les membres étrangers de l’équipe, et notamment les Français, se passionnaient pour l’actualité. Le souffle de la liberté était partout sur le plateau.
En avril, j’ai interrompu la post-production au Caire pour revenir au Soudan et participer aux événements. J’y ai passé deux mois. J’étais à Khartoum le 6 avril, quand a commencé le "sit-in" géant brutalement interrompu par les militaires quelques semaines plus tard. La plupart des Soudanais de l’équipe étaient là et ont été brutalisés. Un de mes amis faisait partie des victimes... Bien sûr [ajoute Amjad], tous ces évènements ont eu un impact sur le film. Par exemple, la première fois que Muzamil va chez Suleiman, il entend une chanson. J’avais imaginé utiliser La Bohême pour créer la surprise d’entendre une chanson française dans un village perdu du Soudan. Mais j’ai préféré finalement mettre une chanson de Muhammad Wardi, qui était devenue l’hymne de la révolution de 1983 et que l’on entendait partout à Khartoum en avril dernier. Wardi était un chanteur communiste très connu en Afrique, il a été banni du Soudan. Les paroles disent : "Nous sommes tous inspirés par la révolution, et nous obtiendrons ce que nous méritons." »

Tu mourras à 20 ans est un premier film magique, dont les images impressionnantes participent à sa poésie, et le récit à son propos rebelle.
Tu mourras à 20 ans de Amjad Abu Alala est en salles le 12 février 2020.