Christiane Passevant
Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu (8 janvier 2020)
Article mis en ligne le 24 janvier 2020

par C.P.

Les Siffleurs
Film de Corneliu Porumboiu (8 janvier 2020)

Si vous aimez les polars noirs états-uniens, façon années 1950, il à parier que vous serez séduit.es et immédiatement dans votre élément. Un flic blaze et corrompu dont la vie est vide, une belle brune sulfureuse à qui on la fait pas, une bande de mafieux qui cherche à récupérer l’argent de la drogue… Le seul qui sache où est planqué le magot est en taule et pour le faire sortir, il faut évidemment un complice flic. À la recherche de ce même butin, la police entre dans le jeu. Mais l’amour s’en mêle également.

« Le principe de ce film [explique Corneliu Porumboiu] repose sur la transaction y compris la transaction des mots. Les dialogues ici ne sont plus des discussions autour d’une idée mais des échanges secs et rapides, comme au ping-pong, coup contre coup. Chaque personnage y est pris dans son rôle professionnel, les flics et les mafieux ont une parole fonctionnelle, il leur reste peu de temps pour la réflexion, car il faut agir en permanence. » De la même manière, Porumboiu joue sur le décalage musical pour détourner les codes du film noir, la musique classique tient une place importante dans les scènes d’action et de violence.

Revenons au récit, Cristi est un inspecteur de police de Bucarest désabusé et corrompu, embarqué en partie malgré lui par Gilda — archétype de la femme fatale qui se joue des hommes — sur l’île de la Gomera. Et l’affaire sort des sentiers battus, car pour échapper aux écoutes et autres mouchards, il doit apprendre le Silbo, une langue sifflée ancestrale et vivante, découverte dans le film Sibel, qui se passait dans le nord de la Turquie. Dans les Siffleurs, le but de cette communication est de permettre à un groupe mafieux de faire évader Zsolt. Le seul à savoir où sont cachés les 30 millions d’euros issus du trafic de drogue. Cristi, durant son apprentissage du Silbo, langue pratiquée depuis des lustres sur l’île de La Gomera (une des îles principales des Canaries), met cependant un certain temps à réussir et c’est la seule manière de faire croire aux matons et aux flics que ces sifflets pour communiquer avec le prisonnier et ses complices sont des chants d’oiseaux…

Le choix du prénom de Gilda pour la femme fatale n’est pas anodin, de même l’apprentissage de la langue sifflée participent à une forme d’humour lié à la culture du réalisateur : « Mes personnages sont très sérieux. Ils pensent être maîtres de leur destin mais ce n’est pas le cas. Je demande aux acteurs de prendre au sérieux chaque scène qu’ils jouent — même si elle semble être plutôt absurde. Observez comme ce policier dans le film essaie d’apprendre ce langage sifflé, par exemple ! Je m’amuse à créer un décalage entre les prétentions héroïques et la réalité des choses. Ce côté terriblement sérieux, en toutes circonstances, donne la touche absurde à mes films. »

Les Siffleurs, ce sont des images superbes, une ambiance de coups fourrés et de rebondissements inattendus, une commissaire, encore plus corrompue, qui donne ses ordres dans des endroits où elle sait qu’il n’y a pas de micros, le double jeu général, un hôtel où l’on écoute de l’opéra, les embuscades… Je vous l’ai dit : un vrai polar noir ! Avec les femmes qui tirent les ficelles.
Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu est au cinéma depuis le 8 janvier 2020.