
Dans un kibboutz près de la frontière libanaise au Nord d’Israël, des sirènes résonnent pour une alerte à la bombe. C’est le début du film, un Havre de paix, qui replace au quotidien la centralité de l’armée et de la politique sécuritaire de l’État d’Israël.
Un havre de paix, le kibboutz… Peut-être, mais transcendé dans les souvenirs d’enfance de trois frères qui s’y retrouvent pour les funérailles de leur père. Le plus jeune, Avishaï, doit partir deux jours plus tard au front, sur la frontière libanaise, et il aimerait poser des questions à ses deux frères sur le sens de la guerre permanente menée par Israël et de son rôle dans ce contexte. Il y a aussi le message étrange du père, venu s’établir dans ce kibboutz. Les deux frères ont des positions totalement opposées sur leur expérience de l’armée, le plus âgé pousse Avishai à partir au front pour marquer son passage à l’âge adulte, quant au second, il ne songe qu’à l’en empêcher.

Entre les alertes à la bombe, l’exhortation du frère aîné à faire son devoir et le pastiche de combat dans la séquence de paintball, la question incontournable est celle du bien fondé de la violence et de ses conséquences. « Quand tu joues la violence, tu finis par ne plus la contrôler et par devenir réellement violent. En Israël [explique le réalisateur], tu fais ton service militaire entre 18 et 21 ans. Nous sommes des gamins qui jouent à la guerre, mais cette guerre redevient sans cesse une réalité, parce que des gens meurent vraiment. [Et] quand tu sors de la guerre, tu as du mal à te souvenir de comment tu étais avant, avant que l’armée ne te vole ta naïveté. Tu ne sais même plus si cette naïveté a vraiment existé. Rien ne sera plus jamais comme avant, le paradis et la naïveté de l’enfance sont définitivement perdus. »

Un havre de paix est un film critique sur la militarisation de toute une société, qui vit sous l’injonction de la « masculinité de plus en plus toxique qui se transmet de père en fils ». De fait, l’alternative semble quasi impossible dans le cadre d’une pression sociale basée sur un mélange de machisme, de nationalisme et de peur, instillée depuis le plus jeune âge. Il faut donc impérativement correspondre à la représentation virile du combattant, blindé, armé et conscient du devoir, sans le moindre doute sur la légitimité du combat et de la violence exercée.
Pourtant, dans la réalité, on peut s’inquiéter des traces, la plupart du temps inavouées, abandonnées dans l’inconscient des jeunes soldats et soldates, de même que de la gravité des troubles post-traumatiques et des conséquences inéluctables sur toute une société.
Des études de féministes israéliennes soulignent en effet les liens entre militarisme, violence et sexisme en analysant leur complexité. Si l’on considère l’armée comme un passage obligé et son fonctionnement comme agent de socialisation, avec mise en avant de comportements et d’attitudes masculines, on en vient à aborder la question de la masculinité comme construction sociale et même celle du masculinisme, censé promouvoir le caractère et les intérêts des hommes.
Le testament du père est, de ce point de vue, très ambigu et contradictoire, il intime l’oubli à ses fils tout en leur demandant de prouver leur « courage » dans un acte symbolique. Ce qui, en quelque sorte, est à l’image des oppositions familiales et de l’attachement des trois garçons.
Dans son film, Yona Rozenkier évoque aussi la question de la laïcité et l’utilisation croissante de la religion à des fins politiques : « Le droit d’existence d’Israël ne doit pas devenir un droit religieux mais rester le droit laïc d’un peuple qui a été persécuté et qui, comme les Palestiniens, a droit à une terre. » On pourrait finalement en conclure que le véritable courage, c’est « oser dire que ce n’est pas la bonne direction et se donner la liberté d’emprunter un autre chemin. »
Un Havre de paix de Yona Rozenkier, sortie nationale le 12 juin.