Le film commence avec la visite de l’exposition itinérante organisée par le régime nazi en 1937 sur « l’art dégénéré ». La reconstitution de cette exposition à Dresde est absolument impressionnante. Elle a été en partie recréée grâce aux travaux de copistes, à partir de photos, puisque certaines des toiles, notamment celle d’Otto Dix sur les blessés de guerre, avaient été détruites. Devant un tableau de Kandinsky, le guide adresse ce commentaire à un jeune enfant, Kurt Barnet, pour faire un bon mot « tu pourrais en faire autant. » Puis, il demande « que fait ton père ? Il est sans travail, répond l’enfant ». Kurt est fasciné par les œuvres exposées et dit à sa tante Élisabeth : « plus tard, je deviendrai peintre ». Dans l’autocar, Élisabeth lui confie tout bas qu’elle aime cet art dégénéré. La famille habite à la campagne depuis que le père de Kurt a perdu son poste de professeur, il ne s’est pas encore inscrit au parti nazi. Au terminus des autocars, Élisabeth fait signe aux chauffeurs des différents véhicules qui, tous, klaxonnent en même et la jeune fille est emportée comme dans un tourbillon symphonique, « Tu vois, dit-elle à son neveu, c’est cela que veulent faire les artistes de l’art dégénéré. »

Quelque temps plus tard, après le passage de Hitler dans la ville, Élisabeth joue du piano nue et lorsque la famille arrive, elle se frappe la tête jusqu’au sang avec un cendrier en lançant « concert pour le führer ! ». À l’hôpital, sa mère pense qu’elle est surmenée en raison de son examen, et supplie le médecin de ne pas signaler son cas, mais en revenant dans le cabinet de consultation, Élisabeth fait cette remarque à propos d’une photo dans un cadre, « vous n’aimez pas votre femme. Cela se voit dans votre attitude sur la photo. » Elle est internée et Kurt est marqué par l’image de la jeune fille emmenée de force par les infirmiers.

1940. Une loi pour la stérilisation des personnes jugées déviantes est mise en place et, au cours d’une rencontre de médecins SS, il leur est demandé de faire un tri parmi les personnes internées, si un + est noté ; cela signifiera l’internement dans un camp, loin de leurs familles, et à terme l’exécution. Envoyée à la clinique de gynécologie du professeur Carl Seeband pour stérilisation. Élisabeth le supplie de ne pas l’opérer. « Je suis comme votre fille. Pourquoi tu me fais ça, papa ? » hurle-t-elle en se débattant. Il la signale pour irrécupérable et ses parents ne la reverront plus.

13 février 1945. C’est le bombardement de Dresde. Kurt voit de loin la destruction de la ville. C’est la fin de la guerre et il ne faut pas laisser de traces. Élisabeth et les jeunes filles du camp sont emmenées en chambre à gaz. On ouvre les manettes, puis les corps sont incinérés. À la même époque, les deux garçons de la famille, enrôlés dans l’armée allemande, sont tués dans la débandade et les Soviétiques occupent la région. L’Allemagne est divisée en quatre secteurs : les États-uniens occupent le Sud, les Britanniques l’Ouest et le Nord, la France le Sud-ouest et les Soviétiques le centre du pays.

1948, Kurt est adolescent et observe la nature, il veut peindre.
Le film se déroule durant trois périodes importantes de l’histoire allemande, le régime nazi et la Seconde Guerre mondiale, la destruction, l’occupation par les alliés, la reconstruction et enfin la séparation du pays en deux Allemagnes : la RFA et la RDA.

À l’origine du projet du film, une Œuvre sans auteur, il y a la découverte par le réalisateur du peintre allemand Gehrard Richter, qui estimait que l’art n’avait pas de pouvoir. « Au contraire, sa fonction est de consoler l’être humain. […] Je crois [ajoute Florian Hencke] qu’il a voulu dire que toute œuvre d’art majeure est la preuve concrète que d’un traumatisme peut surgir quelque chose de positif ».
Le film s’attache essentiellement à l’itinéraire de peintre de Kurt, à partir de sa découverte de l’art, des différents courants artistiques qu’il traverse, de son évolution, en même temps que le film décrit également trois périodes historiques marquantes. C’est sans doute ce lien développé dans le récit, sur plusieurs plans, dramatique, personnel, historique et artistique, qui fait de ce film une fresque absolument passionnante. D’où également la nécessité de durée.

1951. Kurt peint des panneaux de propagande et continue de dessiner en douce. Le responsable de l’atelier, bien que critiquant ses dessins, pousse Kurt à s’inscrire aux Beaux arts de Dresde où il se fait très vite remarquer. Mais attention le prévient son professeur, pas question d’exprimer son ego dans la peinture, il faut bannir le « Ich, ich, ich » et consacrer son talent au socialisme. Bref, on passe en quelque sorte de « l’art dégénéré » à l’art décadent.
Aux Beaux-arts, il rencontre l’amour de sa vie, Élisabeth Seeband, Ellie, alors qu’importent les nouveaux codes qui censurent toute expression personnelle, il se lance dans son amour et dans ses projets avec la même fougue. Kurt et Ellie ignorent le passé de Carl Seeband et son rôle dans l’eugénisme nazi, de même que sa responsabilité directe dans le drame familial du jeune homme.

À la fin de la guerre, Carl Seeband s’en est sorti en sauvant la vie de la femme du commandant russe qui, reconnaissant, fait passer l’enquête du KGB à la trappe et le protège pour un temps. Il s’adapte au nouveau contexte socialiste : « Seeband [précise le réalisateur] est un nazi pur et dur. Il a été témoin de l’échec de l’idéologie national-socialiste et a constaté qu’elle avait provoqué l’effondrement de son pays. Pourtant, il a réussi à trouver refuge au sein des systèmes socialiste et capitaliste, et grâce à son sens de la discipline, sa santé de fer, son intelligence et son expertise scientifique, il n’a jamais été inquiété. C’est aussi ce qui lui a permis de dissimuler sa culpabilité et de sauver sa peau. Il en conçoit un sentiment de supériorité et de formidable confiance en lui. C’est ce qui explique qu’il lui semble inconcevable que sa fille unique s’éprenne d’un artiste impuissant qu’il juge également vulnérable et d’une piètre intelligence. Il s’oppose à leur relation avec tous les moyens à sa disposition ». Ce qui est sans doute le plus monstrueux chez cet homme tyrannique, c’est qu’il est convaincu de tout savoir et d’avoir raison dans toutes les situations, même les plus horribles.

1961. Kurt a presque trente ans et étouffe dans cet art imposé. On pense au film de Wajda, Les Fleurs bleues, sur la vie du peintre polonais Wladyslaw Strzeminski, figure majeure de l’avant-garde et du constructivisme, qui n’adhère pas au concept de « réalisme socialiste » après la Seconde Guerre mondiale et veut peindre sans codes à suivre. Les autorités se sont acharnées sur lui et ses œuvres jusqu’à sa mort. Kurt anticipe sans doute un futur sans possibilité d’exprimer ce « Ich, ich, ich » qu’il pressent sans vraiment le savoir. Il abandonne tout et passe avec Ellie à l’Ouest juste avant la construction du mur. Tous deux regardent avec étonnement la télé, la loterie et Psychose de Hitchcock. Kurt se cherche et il se retrouve à Düsseldorf l’avant-garde se déchaîne : la peinture n’existe plus ! Il faut passer à autre chose.
L’ambiance de ce début des années 1960 est magnifiquement rendue dans le film, la recherche de l’événement, l’éclatement, les restes du nazisme, la jeunesse qui rejette tout en bloc. Dans cet environnement, Kurt cherche, écoute et il repart à zéro.

De son côté, Ellie comprend l’attitude condescendante et monstrueuse de son père pour préserver la pureté de la race. Des drames qu’il a traversé, Kurt va exprimer tout un passé jusque là laissé sous silence, l’histoire, l’idéologie nazie, la suprématie d’une politique raciste… L’art et la politique se mêlent dans les images floues d’abord, et qui se précisent avec force…
Une œuvre sans auteur de Florian Henckel von Donnersmarck (17 juillet, présenté en deux parties).