
Depuis Vodka Lemon ou encore My Sweet Pepper Land, Hiner Saleem s’amuse des codes et des genres cinématographiques pour mieux les détourner et créer ainsi des situations où l’absurde le dispute à la gravité. My Sweet Pepper Land — interprété par la merveilleuse Golshifteh Farahani — se déroulait à l’est du Kurdistan irakien, à la frontière turque, et utilisait les codes du western. Avec Qui a tué Lady Winsley ? Hiner Saleem se lance cette fois dans la réalisation d’un polar, étant féru des films noirs états-uniens des années 1940-1950, et il situe l’action du film en Turquie. « Je suis un conteur avant tout [explique-t-il], alors l’idée de genre fut un élan pour mon imagination, non une contrainte que je me serais imposée. Je voulais parler de la société turque et kurde d’aujourd’hui et des rapports entre les deux, sans être sentencieux sur le fond. C’est une histoire adressée à tout le monde, un sujet universel qui traite des rapports intemporels entre les hommes [et les femmes]. L’humour, l’absurde et la folie accompagnent mes personnages, comme ils accompagnent chaque être humain qui veut vivre, ou qui tente de survivre. »

Un bon début pour ce film qui se passe sur une île au milieu du Bosphore, face à Istanbul. C’est l’hiver, donc pas de touristes, ce qui accentue l’ambiance de repli insulaire qui règne dans l’île. Un crime a été commis, dont la victime, une journaliste états-unienne à la retraite, était sur le point de terminer un livre sur une ancienne affaire classée. Or l’intérêt de la journaliste pour des faits visiblement des plus dérangeants pour la population du village n’était certainement pas du goût de certains. Le crime fait du bruit du fait de la personnalité et de la nationalité de la victime, et l’enquête, sans coupable présumé, ne peut en rester là. Mais alors Qui a tué Lady Winsley ?

Sur l’île, le silence est consensuel face à l’inspecteur Fergan, qui débarque de la péninsule. D’emblée, tous et toutes l’observent avec méfiance, une méfiance encore accrue après sa décision d’analyser l’ADN de toute la population pour les besoins de l’enquête. Il a en effet découvert une goutte de sang dans l’œil de la victime qui serait l’indice infaillible pour découvrir le ou la coupable… L’hostilité est de plus en plus tangible, car tout le monde se sent visé par de supposées révélations d’anciens secrets. « Je voulais [souligne le réalisateur] aborder de front la question de l’adultère dans une société conservatrice comme le Moyen-Orient. La femme infidèle y est systématiquement considérée comme coupable alors que c’est le contraire pour l’homme. Son infidélité peut même participer à construire et imposer sa virilité. C’est ici une des conséquences d’un système patriarcal qui est peu ou pas discuté. Pour autant, je ne voulais pas verser dans l’analyse sociologique. Les prismes du polar et de la comédie convenaient donc parfaitement à mes intentions premières. Il y a quelque chose d’absurde dans cet adultère quasi généralisé à toutes les femmes de l’île, mais la réaction de leurs maris est aussi le marqueur d’un état d’esprit propre à cette société. »

Un polar et une comédie où l’humour de certaines séquences tient parfois au seul comique de situation ou à une chorégraphie de l’absurde, notamment le plan des buveurs de thé à l’arrivée de l’inspecteur, façon Hercule Poirot, ou encore l’embarras des flics en charge de faire régner l’ordre sur l’île, où tout le monde est lié. Rebondissements, rumeurs, mystères, clans et patriarcat quelque peu ridiculisé, le film est aussi une histoire d’amour dans laquelle, finalement, s’immisce la question kurde, qui est peut-être la clé de l’histoire. « On est chez nous et on tue qui on veut ! » s’exclame une femme avec passion devant des autorités dépassées par les événements.
Qui a tué Lady Winsley ? de Hiner Saleem est à voir pour le jeu formidable des interprètes, pour le récit à la fois divertissant et qui porte à la réflexion.