Daniel Pinos
Guantanamera. Film de Juan Carlos Tabío et Tomás Gutiérrez Alea
Article mis en ligne le 17 octobre 2018

par C.P.

Guantanamera. Film de Juan Carlos Tabío et Tomás Gutiérrez Alea (17 octobre 2018)
Version restaurée (1h 41mn). Date de la première sortie : 24 juillet 1996.

Guantanamera est un film réalisé en 1996, qui se déroule lors de la grave crise cubaine générée par l’effondrement du bloc socialiste au début des années 1990, période dite de la « période spéciale ». Il combine comédie et drame pour donner naissance à une agréable aventure quotidienne qui, à travers une intrigue solide, nous plonge dans l’atmosphère d’une période cruciale de l’histoire cubaine, abordée avec humour et autocritique.

Le flm est proche du road movie, montrant une série de personnages qui ajoutent de la vigueur et du dynamisme à l’intrigue au fur et à mesure que les événements se déroulent. Si l’on y ajoute un excellent scénario, on obtient ainsi un long métrage hilarant et didactique, qui ne laisse personne indiférent en le regardant d’un œil critique. Guantanamera a une distribution composée par de grands acteurs : Carlos Cruz, Mirtha Ibarra, Jorge Perugorría et Raúl Eguren.

Tomás Gutiérrez Alea, né à La Havane en 1928, est l’un des cinéastes les plus prestigieux et célèbres de Cuba. Il a réalisé plus de vingt longs métrages qui reflètent la réalité de la société cubaine avec un regard profond et un réalisme brut et simple. Dans sa prolifique carrière, on trouve des titres exceptionnels comme Historias de Revolución, Memorias del Subdesarrollo, La muerte de un burócrata, Hasta cierto punto, Los sobrevivientes, Las doce sillas ou Fresa y chocolat. Chacun d’entre eux représente la vie quotidienne et les circonstances historiques qui ont défini la vie sur l’île après la Révolution de 1959.

Gutiérrez Alea fait partie du mouvement des intellectuels nés dans les années 1960 et 1970, connu sous le nom de « Nouveau cinéma latino-américain », dans lequel le septième art est considéré comme un mécanisme efficace pour représenter et transformer la société. Sa volonté de dévoiler les embarras du système cubain, en particulier dans ses derniers films, lui a valu l’étiquette inconfortable de « contre-révolutionnaire » de la part des autorités de son pays. Mais c’est peut-être précisément à cause de cette sincérité que ses films nous sont utiles pour comprendre l’histoire récente de l’île, au-delà des clichés sur lesquels reposent généralement l’idéalisation de la Révolution et la diabolisation du socialisme cubain.

L’intrigue tourne autour du transfert du corps d’une sexagénaire Yoyita (Conchita Brando), qui meurt subitement après avoir rencontré Candido, une romance de sa jeunesse, à Guantánamo. En raison de la pénurie de carburant, des stratégies alambiquées sont élaborées pour amener la défunte du lieu de sa mort à la localité où elle doit être enterrée, ce qui marquera le début d’un voyage hilarant qui verra une foule de situations absurdes qui constituent une satire originale sur les problèmes de l’île pendant la période spéciale.

Parallèlement au voyage de Gina (nièce de Yoyita) et de son mari Adolfo, Mariano et Ramón effectuent le même voyage, se rencontrent à plusieurs reprises et ajoutent la composante du confit amoureux au développement du film. Dans Guantanamera, nous pouvons observer quelques caractéristiques qui, bien qu’elles ne définissent pas la société cubaine dans son ensemble, constituent un tableau général qui s’adapte suffisamment à la réalité de l’île.

Il est frappant de découvrir l’architecture de la ville de Guantanamo, le film nous montre la ville avec des bâtiments délabrés et des rues à l’aspect du tiers monde. Nous observons également la faim dont soufre une partie de la population durant cette période. Il y a également des problèmes dans les transports publics. Comme le carburant et les automobiles se raréfient, de nombreux transporteurs ou chauffeurs de camion sont forcés de permettre à leurs véhicules de déplacer la population, qui s’entasse comme elle peut dans des remorques.

Dans l’un des derniers moments du flm, nous entendons une voix of qui raconte un mythe africain. C’est un mythe semblable au passage biblique de l’arche de Noé, qui relie la pluie à la mort et à la purifcation qui fait que les personnes âgées cèdent leur place aux nouvelles générations. De cette séquence, nous pouvons avoir une lecture, le fait que le commandant Fidel Castro est déjà d’un âge avancé et qu’il devrait prendre sa retraite.
On retrouve une autre allusion possible à Fidel dans l’une des dernières scènes où Adolfo prononce un discours aux funérailles de Yoyita. Adolfo s’efforce de faire un bon discours, mais il commence à pleuvoir et tout le monde le laisse seul, même sa femme, qui part avec Mariano. La prédilection de Fidel pour les discours longs et grandiloquents est bien connue, mais l’effervescence révolutionnaire à Cuba n’était plus la même qu’il y a des décennies.

Dans Guantanamera, des allusions au marché noir apparaissent constamment, en raison de la pénurie dans les magasins, de même que le problème de la double monnaie (peso cubain et CUC, équivalent au dollar américain). Guantanamera est un témoignage intéressant et un très bon cadre pour évoquer un moment historique compliqué pour Cuba, en plus d’être utile pour comprendre l’histoire récente de l’île.
C’est un film amusant et divertissant, à recommander spécialement pour qui s’intéresse à l’histoire latino-américaine.