Christiane Passevant
9 doigts. Film de FJ Ossang
Article mis en ligne le 20 avril 2018

par C.P.

9 doigts

Film de F.J. Ossang

9 doigts démarre comme un polar classique, dans un noir et blanc à la manière du Troisième homme de Carol Reed. Mêmes éclairages qui accentuent les contrastes et créent des lieux inquiétants. Une gare, des flics patrouillent… Un homme fuit dans la nuit et, dans sa course, ramasse un paquet de fric que lui tend un mourant. C’est alors que tout bascule… Le film monte en tension et le thriller se teinte alors d’angoisse et de science fiction. De quoi perdre ses repères de genres et c’est étourdissant !

Poursuivi par une bande de malfrats, Magloire — c’est le nom du fuyard — est finalement rattrapé par ces derniers qui récupèrent le magot et le séquestre. Après un cambriolage qui tourne à la débandade du gang, Magloire est embarqué sur un cargo avec une cargaison inquiétante. Tout le monde semble ignorer l’exacte destination du bateau et de la caisse, véritable boîte de Pandore, entreposée dans la cale.

Qui est Neuf doigts qui semble tirer les ficelles ? À quoi rime ce voyage sur un cargo qui change de destination, de nom, et que l’on pourrait tout autant nommer Armageddon ? Le Nowhere Land, sorte de nulle part mortifère et mythique, paraît inaccessible et inatteignable. Malgré le temps, les changements d’itinéraires, le voyage se poursuit de zones interdites en morts qui se succèdent. Le mystère s’épaissit encore, faisant penser au Kiss Me Deadly (En quatrième vitesse) de Robert Aldrich avec les allusions au Manhattan Project et à la fin du monde. Thriller politique, prise de pouvoir, menace de fin du monde, dialogues surréalistes et fuite obsessionnelle vers on ne sait vers où… 9 doigts de FJ Ossang est à la fois fascinant et cauchemardesque.

Tourné en pellicule 35mm, dans un noir et blanc sublime, le film de FJ Ossang joue du graphisme des images et des contrastes, du texte, de la poésie brute et des dialogues à la fois fascinants et menaçants qui déroulent par saccades une sorte de fil d’Ariane. 9 doigts illustre sans doute la manière de faire un film comme de la musique. Les genres se mêlent, se superposent pour mieux perdre le public, embarqué vers des îles à la dérive sur un bateau-usine déglingué, une épave habitée par des personnages issus de l’expressionnisme, des « gueules » dans des lumières à couper le souffle. Les personnages, sublimés, font eux-mêmes partie d’un univers graphique, philosophique et poétique. Superbement interprété par des comédien.nes qui se fondent littéralement dans l’ambiance trouble du voyage sur un vaisseau fantôme vers une destination hypothétique, inconnue. La mort ? Peut-être. Et si, ne rien comprendre au premier degré, c’était la clé du récit ? De quoi se faire piéger par le mystère et la grâce de cet ovni cinématographique.

9 doigts de FJ Ossang est un film hors du temps, hors des codes, un fantasme du réel… Le film est sur les écrans depuis le 21 mars.