Le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) s’est prononcé au courant de l’été 2017, en faveur de l’accès à la PMA [1] pour les couples d’homosexuelles et les femmes seules. Mais le gouvernement Macron, qui s’était engagé sur ce dossier lors de la campagne électorale d’« En Marche ! », a reculé devant la levée de boucliers des milieux catholiques, qui soutiennent que l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, va induire la disparition programmée du père, et « qu’il ne faut pas négliger le refoulement et donc, le retour du refoulé » [2].
Pour mieux comprendre les écueils de la PMA auxquels sont confrontées les couples d’homosexuelles, j’ai rencontré Jeanne et Marie. En couple depuis 7 ans, elles se sont mariées il y a un an et sont les heureuses mamans d’un bébé de six mois. [3] Dit comme cela, cela paraît idyllique... En France cependant, être parents lorsqu’on est homosexuelles tient du parcours de combattant.e.

Jeanne et Marie : Nous nous sommes d’abord pacsées, puis mariées, entourées par nos familles et nos ami.es. Marie était enceinte de six semaines et se marier signifiait pouvoir avoir un enfant et protéger notre famille, mais nous n’étions pas réellement intéressées par le mariage en lui même, pas dans le sens que la plupart donnent à cette institution. L’important pour nous était d’avoir un nom commun, de fonder une famille et que Jeanne, qui n’était pas la mère biologique, ait les mêmes droits sur l’enfant. La loi n’offre cette possibilité qu’après mariage.
Le cadre du mariage ne nous enthousiasmait guère, mais il avait une valeur symbolique : la protection de notre famille. N’empêche que nous étions émues, de même que lorsque nous avons fit fait nos demandes, l’une après l’autre, sans concertation. Nos familles étaient également émues par le mariage, car pour elles aussi c’était le symbole d’un combat gagné. Notre relation, notre mariage et l’enfant n’ont jamais posé un quelconque problème à nos familles, que ce soit du côté des parents, des grands-parents ou des frères et sœurs. La seule crainte exprimée par la famille de Marie se situait au niveau des relations sociales et des éventuelles difficultés engendrées par notre homosexualité . La cérémonie à la mairie elle-même fut émouvante, on posait le cadre protecteur de notre famille à venir. C’était important pour nous, d’autant que Marie était enceinte.
En ce qui concerne la conception de notre fils, nous tout d’abord cherché quelles étaient les possibilités du côté de l’étranger, puisqu’en France la PMA n’est pas autorisée pour les couples homos, et que l’adoption ne l’est que pour les couples mariés adoptant l’enfant mis au monde par la conjointe. Nous nous sommes donc informées sur les pays européens où la PMA était autorisée : l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Danemark. Marie avait lu le témoignage d’une femme et son choix du Danemark dans un livre intitulé Deux mamans et un bébé [4]. Il existe une loi particulière au Danemark : à 16 ans, l’enfant peut avoir accès aux informations concernant son géniteur dans la clinique où fut pratiquée l’insémination. Cela après avoir rédigé une demande motivée auprès d’un.e jugea et accompagné.e d’un.e psychiatre. Les motifs de la demande sonte divers : accès à un dossier médical, par exemple. Les donneurs savent d’ailleurs que, lorsqu’ils font un don de sperme, leur identité peut être révélée.
Nous avons longuement réfléchi, car nous n’étions pas d’emblée à l’aise avec ce principe, mais il nous a semblé légitime d’avoir accès aux origines biologiques, quelles qu’elles soient, pour un.e enfant. Pour cette raison qui nous a paru importante pour notre futur bébé, notre choix s’est porté sur le Danemark. Les couples qui ne veulent, ou ne peuvent pas partir à l’étranger, car cela représente un coût, il reste le recours à des filières illégales, mais aller à l’étranger est aussi une façon de contourner la loi. Il existe les inséminations « artisanales », faite par un donneur non anonyme qui peut être un ami par exemple, mais ce n’est pas très encadré au niveau sanitaire, et cela ne correspondait pas à notre projet.
Marie a été la première à vouloir porter notre enfant. Nous voulons plusieurs enfants, donc Jeanne sera la prochaine. Une fois décidé le choix du pays et qui de nous deux portera l’enfant, la suite fut une question d’organisation logistique et hormonale. Il a fallu trouver un.e gynécologue qui accepte de suivre la grossesse de Marie. Ce n’est pas simple, la loi interdit au corps médical de participer à une PMA pour un couple homo, ils/elle peuvent être radié.es. Ils/elles ne sont donc pas autorisé.es à donner les adresses des cliniques qui pratiquent cette opération à l’étranger, ni à accompagner la grossesse d’un couple d’homosexuelles. Pourtant, c’est primordial d’être suivie médicalement. L’insémination doit se pratiquer en période d’ovulation, et un cycle peut varier. Seule une échographie peut déterminer cette période avec précision.
Nous avons finalement trouvé un gynécologue qui accepte de nous accompagner, à la condition que s’il fallait une FIV, dans le cas de trois échecs d’insémination, il ne pourrait plus nous suivre, les traitements à prescrire risquant d’éveiller les soupçons de la sécurité sociale. Il craignait déjà que les échographies mensuelles n’attirent l’attention [5]. Il nous a donc proposé d’antidater les ordonnances. Bien que les deux premières inséminations n’aient pas réussi, il a été très correct. Dès qu’il diagnostiquait l’ovulation, il fallait immédiatement réserver les billets d’avion. Évidemment, par deux fois, ce fut pendant une période de fêtes, lorsque que les tarifs sont les plus hauts. S’ajoutent à cela l’hôtel et les déplacements.
De plus, il y a le barrage de la langue pour se faire comprendre, si on ne parle pas au moins l’anglais. Ce fut stressant la première fois pour communiquer et traduire les résultats des examens. C’est sans doute pour cela que beaucoup de couples préfèrent la Belgique ou la Catalogne. Les voyages, le dépaysement, l’angoisse, l’obligation de s’expatrier pour avoir un enfant parce que notre pays nous dénie ce droit, c’est difficile à vivre. Nous étions heureusement très soutenues par nos familles et nos ami.es.
Financièrement c’est très lourd. Entre les déplacements, les séjours et les frais médicaux — 750 euros par insémination —, les frais s’élèvent à 6000 euros.
Outre cela, nous travaillons toutes les deux — Marie comme enseignante et Jeanne dans un restaurant —, et nous avons dû informer nos responsables et exposer notre vie privée du fait des absences de plusieurs jours, sans qu’il soit possible d’anticiper les dates. La restauration est un milieu plutôt macho et nous redoutions les réactions, mais ce fut une agréable surprise, les retours furent sympathiques et chaleureux. Nous imaginons que ce n’est pas le cas pour toutes.
Quatre voyages ont été nécessaire, le premier est un rendez-vous de contact où sont posées les questions concernant les critères de recherche du donneur : la couleur de peau, des yeux, des cheveux, mais aucun critère socio-culturel. Après quelques semaines, un texto nous a été envoyé avec les caractéristiques du donneur, sa taille, son poids, la couleur de ses yeux et de ses cheveux… Il fallait aussi donner notre accord et nous avons dit oui bien sûr. Trois essais de fécondation ont été pratiqués lors de trois cycles. L’échec des deux premiers échecs fut très difficile à accepter, malgré le fait que nous avions envisagé la situation. Il n’en reste pas moins que c’est angoissant. La troisième tentative a réussi et ce fut pour nous deux une joie indéfinissable. Marie a déclaré sa grossesse mais lorsqu’après la naissance du bébé, Jeanne est allée à la mairie pour inscrire notre enfant sur le livret de famille, cela a été refusé. Notre fils fut inscrit sous le nom seul de Marie et non sous nos deux noms. Pour que le bébé porte nos deux noms et que Jeanne soit reconnue comme parente légale, il qu’elle l’adopte en adoption plénière. C’est absurde, mais il n’y a pas le choix. Jeanne a donc commencé les démarches d’adoption et Marie a fait un testament pour que sa femme soit reconnue comme parente légale, car en cas d’accident, de décès, Jeanne n’a aucun droit sur notre enfant.
Cela signifie déposer une demande d’adoption chez un notaire, prendre un. avocat.e, justifier de l’implication affective de Jeanne et de son attachement vis-à-vis de notre fils, enquêtes et des preuves de tiers à l’appui. C’est un nouveau combat, un choc moral, un coût d’environ 1500 euros, beaucoup de colère et de frustrations. Il faut compter environ de six à huit mois avant l’adoption officielle par Jeanne. Nous aurons alors un nouveau livret de famille, avec nos deux noms accolés d’épouses, et notre fils y sera inscrit. Nous aurons chèrement gagné une reconnaissance administrative et symbolique et, dans quelques temps, nous recommencerons pour un deuxième enfant.