Christiane Passevant
Kedi. Des chats et des hommes. Film de Ceyda Torun
Article mis en ligne le 27 décembre 2017

par C.P.

Une ville, des chats, des humains… Kedi n’est pas un film documentaire animalier, c’est un récit particulier parce que, « À Istanbul, un chat est plus qu’un chat. Il incarne le chaos indicible, la culture, la singularité qui font l’essence d’Istanbul ». Depuis des siècles, des milliers de chats vagabondent dans les rues d’Istanbul. Mi sauvages, mi domestiqués, ils et elles s’adaptent très bien à la ville, pour les plus chanceux, et apportent joie et raison d’être à bien des Stambouliotes. Kedi est donc l’histoire de sept de ces félins et félines qui habitent Istanbul.

La réalisatrice, Ceyda Torun, est née à Istanbul et a toujours aimé les chats libres de la ville. Elle a vécu aussi à New York, sans les chats des rues, et c’est sans là sans doute qu’elle a réalisé la spécificité des chats d’Istanbul. Elle travaille d’abord comme assistante réalisatrice, fonde sa propre maison de production et enfin se lance dans le projet d’écriture sur les chats d’Istanbul.

Ceyda Torun réussit à merveille à mettre en évidence le lien entre les chats, la ville et les Stambouliotes. Si l’on doit faire une comparaison entre ce film unique et une autre création, c’est peut-être avec l’écriture de Colette qui savait s’effacer de la même manière que la réalisatrice devant la personnalité des chats. C’est la même impression laissée par les « personnages » de Kedi : Sari, l’arnaqueuse, Aslan, le chasseur, Deniz, le mondain, Bengü, la tombeuse, Psikopat, la dominante, Gamsiz, le joueur, Duman, le gentleman… On n’est en effet pas près de les oublier, comme c’est le cas du fameux Kiki-la-doucette du Dialogues de bêtes de Colette. Le film raconte plusieurs histoires qui s’enchaînent en saynètes rythmées par la ville, la parole de quelques humains et beaucoup de figurants et figurantes poilu.es. « Ma seule intervention [explique la réalisatrice] relative à la “direction d’acteurs” a consisté simplement à m’asseoir parmi les chats et à les caresser, pendant […] la mise en place et la préparation du cadre. […] Notre plus grand défi était de nous approcher des chats sans qu’ils viennent nous demander des caresses ou qu’ils sautent sur nos genoux. »

C’est d’abord, en prélude et en panoramique, la découverte d’Istanbul à partir du ciel, puis la caméra est très vite à hauteur de chats et de chattes, les guettant dans leurs pérégrinations, leurs habitudes et leurs rituels. La caméra les suit au raz du trottoir et cette perspective change la perception de la ville qui va des félins aux humains et vice versa. Un tournage, à deux caméras, pour lequel il a fallu chercher des moyens pour se mettre à niveau du monde félin qui déambulent dans les ruelles, dans les marchés, sur le port, dans les rues très fréquentées, grimpent sur les toits et les balcons, visitent certains appartements, se faufilent dans leurs planques.

« Les chats qui vivent dans la rue à Istanbul sont généralement très à l’aise avec les gens [raconte Ceyda Torun] et ça leur plaisait que nos cameramen les suivent. En revanche, ils étaient plus méfiants, en présence de la voiture télécommandée que nous avions transformée en caméra. Soit ils s’enfuyaient, soit ils jouaient avec, quand ils ne l’attaquaient pas ! Ils étaient capables de fixer l’objectif géant de la caméra pendant de longs moments. Sans doute voyaient-ils un œil immense qui les scrutait ? Ça avait l’air de les ravir d’être regardés ainsi. » Et le public est certainement ravi par Kedi qui a déjà été vu dans une dizaine de pays et a fasciné différents publics.

Kedi est le premier long métrage documentaire de Ceyda Torun et c’est une petite merveille. Sortie nationale le 27 décembre.