Christiane Passevant
La fiancée du désert de Cecilia Atán et Valeria Pivato. Isola de Fabianny Deschamps. Makala d’Emmanuel Gras. Je ne suis pas une sorcière de Rungano Nyioni. Le rire de Madame Lin de Zhang Tao. Le lion est mort ce soir de Nobuhiro Suwa. Un homme intègre de Mohammad Rasoulof
Article mis en ligne le 27 décembre 2017

par C.P.

La fiancée du désert

Un film de Cecilia Atán et Valeria Pivato

Tourné en cinémascope, le film suit un groupe de personnes marchant le long d’une route, au milieu d’un paysage semi désertique. Teresa fait partie du groupe et, par flash back, on apprend les raisons de sa présence sur cette route. Elle a 54 ans et a travaillé toute sa vie au service d’une famille de Buenos Aires, dont elle a élevé le fils.

Mais un jour, la famille ne peut plus la garder et lui propose d’accepter une place à l’autre bout du pays. Elle prend donc le bus pour San Juan, et commence alors, pour elle, une aventure en forme road movie qui va bouleverser sa vie. À la suite d’une panne et de la perte de son sac, le voyage se mue en effet en prise de conscience.

La Fiancée du désert est le très beau portrait d’une femme qui prend soudain sa vie en main, et c’est aussi la rencontre de personnages émouvants et atypiques. Un road movie de l’émancipation et une fin ouverte…

La fiancée du désert de Cecilia Atán et Valeria Pivato est sorti 13 décembre.

Isola

Un film de Fabianny Deschamps

C’est un autre personnage de femme qui est au centre du film de Fabianny Deschamps, sur les écrans depuis le 6 décembre : Isola.

On pourrait penser que le film est une fable moderne. Le récit en a la forme au départ puisqu’on ignore comment Dai, une jeune Chinoise enceinte, est arrivée sur cette île, entre l’Europe et l’Afrique, et les circonstances qui lui font espérer retrouver le père de son futur enfant. Elle vit dans une grotte, au décor composé d’objets hétéroclites, sur un rivage où la lumière, souvent crépusculaire, ajoute à l’ambiance du film, entre fiction et réalité.

L’île est un lieu, très contrôlé, de transit pour les migrants, le film se fait alors documentaire en montrant le processus de triage des réfugié.es avant leur envoi dans des camps de rétention : « Huit cents personnes qui se déversent, enfants, nouveaux nés, femmes enceintes,[…] récupérées par la police, classées, ordonnées, enfermées ». C’est quasi insoutenable. La jeune chinoise est présente et scrute les visages en espérant reconnaître celui qu’elle attend, mais sans le retrouver, elle se réfugie dans un monde onirique qu’elle crée, et réinvente son histoire pour résister à la violence.

Isola de Fabianny Deschamps est à voir depuis le 6 décembre.

Makala

Un film d’Emmanuel Gras

Film documentaire et véritable suspens, Makala est servi par des images fortes et superbes.

Le film raconte le périple d’un villageois congolais qui, après avoir coupé un arbre, en fait du charbon de bois et transporte l’énorme chargement sur son vélo jusqu’à la ville. « Je cherche l’expressivité, non le réalisme [dit Emmanuel Gras]. Je n’aime pas l’esthétique réaliste, dans le sens de reproduire le plus fidèlement possible le réel. [Je veux] rendre la réalité la plus expressive possible. Chercher par quels moyens faire exister plus encore ce qui est là. »

Un film impressionnant de beauté, depuis la découverte de l’arbre à abattre jusqu’aux plans sur la route, dans la lumière, dans les phares des camions, dans la poussière… Un périple qui met le public en prise directe avec l’effort, transcendé peut-être, comme l’explique le réalisateur, mais d’autant plus impressionnant.

Makala d’Emmanuel Gras est à voir depuis le 6 décembre.

I Am Not a Witch (Je ne suis pas une sorcière)

Un film de Rungano Nyioni

Je ne suis pas une sorcière, le film de Rungano Nyioni est une ode à la liberté certes, mais c’est aussi le prix à payer pour celle-ci. Si de la chèvre de Monsieur Seguin, on veut nous faire retenir une leçon sur les dangers de la désobéissance et de l’insouciance, il s’agit à la base d’une soif de liberté, d’être sans entraves, même s’il faut se passer de protection.

C’est à ce dilemme auquel est confronté la jeune Shula. Si elle quitte la communauté des sorcières où elle est cantonnée, après avoir été chassée de son village par des croyances ancestrales, elle sera livrée à tous les dangers.

Je ne suis pas une sorcière, est-ce la seule révolte de Shula, un exemple pour les autres femmes entravées, une provocation, une volonté d’autonomie ? Shula a-t-elle des pouvoirs de sorcière ? Qui sait ? En tous cas le film, lui, est magique et très puissant.

I Am Not a Witch (Je ne suis pas une sorcière) de Rungano Nyioni sort le 27 décembre.

Le rire de Madame Lin

Un film de Zhang Tao (20 décembre 2017)

« Depuis l’ouverture de la Chine au marché et le passage du socialisme au capitalisme, les valeurs traditionnelles entrent en conflit avec les valeurs du libéralisme et les traits de la société de consommation.  » C’est ainsi que Madame Lin, après un malaise et un séjour à l’hôpital, devient un poids pour ses enfants. La vieille dame alors « cristallise leurs frustrations et sert d’exutoire à l’injustice sociale qu’ils ressentent. » Selon les chiffres officiels, la Chine a l’un des taux de suicides de personnes âgées les plus élevés au monde.

Dans le rire de Madame Lin, le réalisateur montre comment la dépossession de son autonomie détruit la vieille dame, en même temps que l’indifférence ou la cruauté de ses enfants. «  Chacun des membres de la famille représente un aspect de l’envers du boom économique : paysans appauvris, petits commerçants qui voient fondre les économies d’une vie, enfants abandonnés par des parents partis tenter leur chance en ville… » Le rire de Madame Lin montre des faits et les conséquences du nouveau monde libéral et individualiste.

Le rire de Madame Lin de Zhang Tao est sur les écrans depuis le 20 décembre.

Le lion est mort ce soir

Un film de Nobuhiro Suwa (27 décembre 2017)

« J’ai un problème [dit Jean-Pierre Léaud à sa maquilleuse sur un tournage]. Comment jouer la mort ? La mort, ça ne se joue pas.  » Comment se termine une vie dont on ne veut pas savoir la fin ?

La question reste en suspens comme le tournage d’ailleurs et Jean-Pierre Léaud, soudain désœuvré, décide de visiter son passé en même temps que la maison d’une amie, Juliette, qui l’a aimé et est morte en 1972. Il retrouve la maison, discute avec le fantôme de Juliette et fait la rencontre de jeunes apprentis cinéastes qui veulent tourner un film d’horreur… Alors leur dit Léaud, il faut d’abord écrire le scénario. Un joli film sur le désir de cinéma et la transmission.

Jean-Pierre Léaud est remarquable dans la dernière scène qui se déroule à la reprise du tournage interrompu, il joue deux fois la même scène… Les deux prises sont-elles identiques ? Pour le dialogue, oui, mais l’émotion passe différemment… C’est ça le cinéma !

Le lion est mort ce soir de Nobuhiro Suwa sort le 27 décembre.

Un homme intègre de Mohammad Rasoulof

Très grand film que cette charge critique de Mohammad Rasoulof contre la corruption. Un homme intègre décrit l’impuissance d’un homme qui ne veut pas se compromettre et se heurte aux autorités avec pour défense sa seule bonne foi.

On va tout lui prendre, mais il ne veut ni céder ni partir. Sa seule échappatoire, c’est de s’enivrer avec de l’alcool qu’il fabrique. Un homme intègre de Mohammad Rasoulof, c’est le choix entre la résistance au rouleau compresseur du pouvoir ou hurler avec les loups ?

Un homme intègre de Mohammad Rasoulof est sur les écrans depuis le 6 décembre.

Mohammad Rasoulof est toujours en attente de procès et assigné à résidence en Iran.