« Franco no ha mort »
C’est ce que l’on pouvait lire sur de nombreuses banderoles et affiches, confectionnées à la hâte, par les manifestant.es qui sont descendu.es par dizaines de milliers dès l’annonce du coup de force de Madrid contre la Catalogne, mercredi matin. Jeudi et vendredi, les mobilisations continuaient de plus belle et ont pris de l’ampleur vendredi, avec un appel à la grève générale de la CGT et de l’IAC.
Le gouvernement de droite, au pouvoir à Madrid poursuit sur la voie de la répression avec le soutien de Ciudadanos et d’une fraction du Parti Socialiste (PSOE). Après l’arrestation de quatorze responsables politiques catalans, mercredi, dont onze sont encore en garde-à-vue pour « sédition » et « détournement de fonds », des perquisitions ou tentatives de perquisitions contre des locaux de partis politiques indépendantistes et la saisie de plus de dix millions de bulletins de vote, censés servir pour le référendum du 1er octobre, Madrid a tout simplement mis sous tutelle financière la Généralité, le gouvernement autonome. Il n’en faudrait pas plus, d’ailleurs, pour que l’article 155 de la Constitution de 1978, qui prévoit la suspension des autonomies régionales, ne soit mis en œuvre au nom, selon Mariano Rajoy, le Premier ministre, de la défense de « l’unité du pays » et de la « démocratie ».
La Cour constitutionnelle espagnole a annoncé, jeudi 21 septembre, avoir infligé des amendes de 6 000 euros à 12 000 euros par jour à 24 organisateurs du référendum d’autodétermination de la Catalogne. La Cour a, pour la première fois, mis en œuvre une récente réforme de 2015 qui lui permet d’infliger des amendes aux fonctionnaires qui enfreignent ses résolutions, voire de les suspendre de leurs fonctions.
Drôle de conception de la démocratie de la part de Rajoy, qui refuse de considérer, un seul instant, non pas le droit à l’indépendance, mais le droit à l’auto-détermination. Sans même parler du franquisme, dont le Parti Populaire est issu, en dernière instance, l’attitude autoritaire et anti-démocratique de Rajoy n’est pas sans rappeler la décision des droites espagnoles de la CEDA, de retour au pouvoir sous la seconde République, entre 1934 et 1936 qui, d’un côté, avait écrasé la grève des mineurs d’Asturies et, de l’autre, suspendu le statut autonome de la Généralité de Catalogne.
Aux côtés de l’ERC, le centre-gauche indépendantiste, et au nom du sens des responsabilités, les leaders actuels du PDECAT (Parti démocrate européen catalan), le président du gouvernement de Catalogne Carles Puigdemont en tête, ont tout d’abord appelé au calme alors que les gens commençaient spontanément à descendre dans la rue, mercredi matin. Le PDECAT et l’ERC qui sont comme effrayés par ce que voudrait dire maintenir, coûte que coûte, un droit aussi élémentaire celui du référendum du 1er octobre. Leur attitude actuelle est avant tout liée à la crainte qu’ils ont du fait que la question nationale se transforme en un moteur de combat qui les dépasserait complètement si le monde du travail, les classes populaires et la jeunesse s’en emparaient en les écartant du chemin.
Ce n’est pas à la bourgeoisie catalaniste de décider si un droit aussi élémentaire que celui à l’autodétermination doit ou non être respecté. Depuis mercredi, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui se sont rassemblées dans les villes et les villages de Catalogne en soutien au processus et contre le coup de force madrilène. Mais des rassemblements ont également été organisés dans les pays catalans, dans la région de Valence et aux Baléares, à Madrid, en Aragon, en Andalousie, et bien entendu en Galice et en Euskadi. Dans les établissements scolaires et universitaires de Catalogne, les journées de jeudi et vendredi ont été une longue suite d’AG et de débrayages, après les manifestations de mercredi soir auxquelles les jeunes ont fortement participé. Du côté syndical, la CGT (la Confédération générale du travail anarcho-syndicaliste) et la plateforme des syndicats indépendantistes (IAC) ont appelé à une AG de leurs directions respectives, jeudi soir, pour décider d’une grève, dès vendredi, dans toute la Catalogne. Les dockers ont, pour leur part, anticipé l’appel puisque ceux des ports de Barcelone et Tarragone ont annoncé le boycott des embarcations dépendant de la garde civile.
Tout cela pourrait aller beaucoup plus loin qu’une simple protestation contre le coup de force du gouvernement de Madrid, car les travailleurs sont conscients que l’accession de leur région à l’indépendance ne résoudra pas les problèmes sociaux. La bourgeoisie catalaniste a montré tout au long de l’histoire qu’elle ne visait que la prise du pouvoir en maintenant sa domination sur les classes populaires. En 1936, lorsque les travailleurs se sont emparés de leurs usines en expropriant leurs exploiteurs, entamant ainsi la plus grande révolution sociale de tous les temps, la bourgeoisie catalane a soutenu financièrement le coup d’État fasciste du général Franco.
Salvador Segui, un des principaux dirigeants de la CNT (le syndicat anarcho-syndicaliste), disait dans les années 1920 : « L’unique ennemi qu’à la Catalogne est le même qu’il y a à Madrid : le Capitalisme ». Même si nous ne vivons plus à cette époque, les classes populaires n’ont pas changé d’adversaires. Un ouvrier de Barcelone a certainement plus d’intérêts communs avec un ouvrier de Madrid qu’avec un patron catalan.
Les partis catalanistes ne remettent pas en question le système d’exploitation capitaliste, ils ne conçoivent que la création d’une république bourgeoise à leur service. Il n’y a là rien qui pourrait modifier la vie des milliers d’habitant.es de la Catalogne qui subissent le chômage et une extrême précarité.
En Espagne, le séparatisme s’oppose au dialogue et à la co-existence d’une mosaïque de peuples, de langues et de cultures, ce qui fait la richesse de ce pays. L’Espagne, c’est le gouvernement réactionnaire de Madrid, mais c’est aussi Garcia Lorca, Goya, le siècle d’or et les révolutions sociales du XXe siècle. Tout cela va bien au-delà du séparatisme.
À suivre…