Affirmer que Star Wars est un brûlot anticapitaliste et que Luke Skywalker est une sorte de Che Guevara intergalactique peut sembler à la fois paradoxal et provoquant. Si l’oncle Picsou a déboursé en 2012 la modeste somme de quatre milliards de dollars pour racheter la franchise (en récupérant au passage les doits d’Indiana Jones), c’est sans doute parce que l’investissement était rentable. Il est vrai que les chiffres parlent d’eux-mêmes : avant la sortie de Rogue One, l’ensemble des recettes accumulées depuis 1977 dépassait déjà les trente milliards de dollars. Il faut y ajouter celle du dernier spin off, sorti sur les écrans en décembre 2016 : au bout de quarante jours, il avait ajouté un milliard de dollars à l’escarcelle des amis du club Mickey.
Star Wars est donc en soi un empire financier qui donne le vertige. Ce ne sont pas seulement les films qui sont concernés, mais aussi les produits dérivés : jouets, répliques, vêtements (du blouson aux chaussettes en passant par les caleçons), jeux vidéo, CD, DVD, romans, bandes dessinées, séries télévisées, assiettes, verres, couverts, calendriers… Les fans se bousculent pour rencontrer les acteurs et les actrices qui ont joué le moindre petit rôle dans un épisode de la saga. Il est difficile de payer moins de vingt euros pour l’autographe d’un simple figurant et les prix explosent quand il s’agit d’une grande figure comme Anthony Daniels, l’acteur qui, depuis 1977, incarne le personnage emblématique de C-3PO, le robot de protocole fabriqué sur Tatooine par le jeune Anakin Skywalker – celui qui deviendra plus tard l’infâme Dark Vador.
Il semble difficile de trouver dans cet ensemble le moindre élément pouvant servir à critiquer l’ordre économique dominant, même si le message politique des films est clairement progressiste puisque les rebelles de l’Alliance luttent contre une abominable dictature incarnée par l’empereur Palpatine. Est-ce un hasard si le chef rebelle incarné par Forest Whitaker dans Rogue One s’appelle Saw Gerrera ? Les sonorités de son nom rappellent étrangement celle du plus connu des révolutionnaires latino-américains : Che Guevara (figure 1).

Figure 1. Saw Gerrera, le rebelle extrémiste de la série Rebels et du film Rogue One, connaîtra sur la planète Jeddah la même fin tragique que son modèle argentin en Bolivie.
En outre, une grande partie de l’univers Star Wars est imprégnée par deux thèmes qui occupent une place centrale dans la mauvaise conscience de l’Amérique : le racisme et l’esclavage. En effet, dans les films comme dans les romans, la dénonciation du racisme des humains envers les non-humains s’accompagne d’un rappel permanent de l’une des tares initiales de la société nord-américaine : la déportation et le travail forcé des Noir.es africain.es dans les plantations de canne à sucre et de coton.
Sur Tatooine, Anakin Skywalker (un petit garçon blond aux yeux bleus) est un esclave, fils d’une esclave, propriété d’un trafiquant minable de Mos Espa. Quand elle le rencontre pour la première fois dans la boutique de Watto, dans La menace fantôme (1999), Padmé lui pose une question terrible : « Tu es un… esclave ? ». La réponse d’Anakin est aussi violente que désespérée : « je suis une personne », afin d’affirmer que sa vie ne se réduit pas à son statut juridique de bien mobilier. Quant à Han Solo, il a choisi de rompre avec l’Empire parce que celui-ci asservissait de nombreuses populations non humaines et en particulier les Wookies, ces gorilles intelligents dont le plus célèbre représentant est le grand Chewbacca.
Même si on peut considérer que Star Wars incarne les valeurs d’une certaine gauche états-unienne vomie aujourd’hui par Trump et ses acolytes, on ne trouvera pas dans les films de la série, destinés à un vaste public réceptif à des idées généreuses mais finalement assez abstraites, un discours condamnant le système économique qui sévit dans cette galaxie pas si lointaine. Pourtant, dans les romans ou dans les bandes dessinées estampillées Guerre des Étoiles, le message critique peut aller assez loin. Si on veut s’attaquer aux causes du mal profond qui a rongé la République et facilité l’émergence de l’empire, il faut s’interroger sur les inégalités structurelles dont sont victimes les exploité.es, les déshérité.es et les dépossédé.es de toutes les planètes servant de décor à l’affrontement millénaire entre les Jedi et les Sith, entre le Bien et le Mal.
Ainsi, dans Medstar 1 : Chirurgiens de l’espace, roman de Michael Reaves et Steve Perry publié en France en 2004, l’héroïne fait le lien entre le conflit qui ensanglante la galaxie et les intérêts économiques des groupes qui en tirent profit : « C’était avant tout une affaire de commerce et de capitalisme, comme la plupart des guerres – les guerres saintes y compris » (p. 88). Nous ne sommes pas loin ici de la formule attribuée à Jean Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage », reformulation de son discours du 7 mars 1895 à la chambre des Communes, annonciateur des horreurs de la première guerre mondiale : « Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre, comme une nuée dormante porte l’orage ».
Il n’est donc pas complètement incongru de chercher dans la littérature starwarsienne, et plus particulièrement dans les œuvres plus engagées publiées à partir des années 2000 (même dans la littérature pour la jeunesse), les fondements d’une pensée critique sur notre capitalisme contemporain, processus inscrit dans une globalisation en apparence inéluctable qui concerne non seulement les échanges de biens matériels ou immatériels mais aussi les formes, les structures et les pratiques de domination.
1. Le pouvoir caché des sociétés transgalactiques
Le monde de Star Wars est dominé par un certain nombre de grands groupes industriels, d’entreprises transgalactiques et de consortiums financiers dont la cupidité et le cynisme n’ont rien à envier à nos propres compagnies transnationales. C’est le cas des maîtres de la Fédération du commerce qui, dans La menace fantôme, cherchent à imposer par la force des traités iniques aux planètes abandonnées à leur sort par des sénateurs corrompus jusqu’à la moelle. Avides, lâches, prêts à tout pour accroître leur pouvoir et leur richesse, les Neimodiens qui assiègent la planète Naboo semblent directement issus du conseil d’administration de Goldman Sachs, cet empire invisible qui pèse à lui seul 700 milliards de dollars – soit deux fois le budget de la France, et dont les dirigeants ont piloté la crise des subprimes, la faillite de la Grèce et la spéculation contre l’euro (figure 2).

Figure 2. Sous l’influence des Sith, le vice-roi Nute Gunray a profité d’un projet de taxation des routes commerciales pour tenter d’imposer le monopole de son organisation à la reine élue de Naboo, la jeune Amidala (La Menace fantôme, 1999, © Lucasfilm
Malheureusement pour les habitants de la galaxie, la Fédération du commerce n’est pas la seule à s’occuper des affaires d’un monde où les notions de centre et de périphérie ont gardé tout leur sens. En effet, comme le signale Drew Karpyshyn dans La voie de la destruction (2008), la République n’est pas populaire dans les planètes de la Bordure qui sont exploitées par des entreprises dont les sièges sociaux sont tous installés dans le Noyau et en particulier sur Coruscant, la capitale intergalactique. Comme le dit Des (le futur Dark Bane) à ses compagnons : « tout va bien dans le Noyau : les gens sont en bonne santé, riches et heureux. La vie n’est pas aussi simple ici dans la Bordure » (p. 53).
De fait, les principaux groupes industriels, financiers et commerciaux de la galaxie ont établi à Coruscant au moins une « ambassade » chargée d’entretenir de bonnes relations avec les cercles du pouvoir. Malgré le développement des technologies de l’information et de la communication, il est toujours indispensable d’être physiquement présent dans la capitale pour affirmer son statut politique et social, gérer ses affaires et faire du lobbying.
Parmi ces puissantes « transnationales », on trouve Incom Inc., leader sur le marché des vaisseaux spatiaux depuis plus de deux mille ans. Quant aux dirigeants du « Secteur corporatif », qui contrôlent des milliers de planètes et appliquent dans leur domaine les règles du capitalisme le plus libéral, ils entretiennent des contacts étroits et permanents avec Coruscant. Ce sont les représentants des plus grandes compagnies de la galaxie, à l’origine de la Ligue corporatiste pan-galactique : Cybot Galactica, Chantiers Navals Kuat, Merr-Sonn, Propulsions stellaires Rendili, Santhe/Sienar, Banque du Noyau, Ayelixe/Krombine Textiles, Millenium Entertainements, Chiewab Amalgamated Pharmaceuticals... Sans oublier la Compagnie Tagge (TaggeCo), conglomérat puissant et diversifié qui possède un grand nombre d’entreprises dans les industries de base (Industries lourdes de Bonadan, Compagnie minière Tagge, GalResources), le secteur manufacturier (Mobquet et Trast Gowix Computers) et dans le secteur des services.
Les romans de l’ancien « Univers étendu » devenu « Légendes » depuis la sortie de l’Épisode VII, nous apprennent qu’il existe sur Coruscant un important quartier des affaires regroupant les sièges sociaux des grandes compagnies intergalactiques et où se concentrent les activités commerciales officielles. Selon R. A. Salvatore, l’ensemble est baptisé Coco Town, « Coco » étant une contraction de « Commerce collectif ». Les désormais classiques Central Business Districts (CBD), implantés dans toutes les métropoles états-uniennes, ont servi de modèle à cette Business Section, rapidement évoquée par l’auteur du roman et dont on ne voit que quelques images dans le film de George Lucas sorti sur les écrans en 2003 (L’attaque des clones, p. 159).
Ce n’est pourtant qu’à partir du milieu des années 2000 que les auteur.es estampillé.es Star Wars ont osé poser un regard vraiment critique sur le capitalisme industriel et financier intergalactique de plus en plus présenté comme un cancer qui ronge les fondements de la République et de la démocratie. Sur la planète Nox mise en scène par Tim Lebbon dans L’Aube des Jedi (2015), la station Greenwood est gérée d’une main de fer par les « Corporations » (terme vague permettant de désigner n’importe quel type d’entreprise) : « Elles font la loi, et les gens travaillent pour elles. La seule sécurité, ici, est conçue pour s’assurer du bon fonctionnement de la production, pour protéger les membres des corporations » (p. 211).
Le même terme avait été utilisé par Michael A Stackpole dans La guerre du bacta (1997) pour évoquer les compagnies qui produisent le bacta sur la planète Thyferra. Ce médicament miraculeux a permis à la corporation Zaltin et à la corporation Xucphra, assurées d’une situation de monopole, de faire des bénéfices indécents – en particulier au cours de la langue période de conflits armés qui a commencé avec l’arrivée au pouvoir du chancelier Palpatine, le futur Empereur.
Dès 2000, dans un roman pour adolescents intitulé Le jour du jugement, Jude Watson dénonçait les magouilles d’une compagnie transgalactique installée sur Télos pour s’approprier ses richesses naturelles : « Unify était une entreprise télosienne que Tahl soupçonnait d’être un prête-nom pour Offworld, l’immense compagnie minière dans les ramifications s’étendaient dans toute la galaxie » (p. 9). Afin de détourner les habitants de Télos du problème posé par le pillage de leur planète, les dirigeants d’Offworld ont lancé un vaste jeu de hasard qui permet aux participants d’espérer un jour échapper à la misère. Comme le rappelle Den, en révolte contre cette vaste entreprise de décervelage, en participant volontairement à Katharsis les dépossédés font le jeu de ceux qui les exploitent : « Regardez autour de vous, Regardez vous ! Vous êtes endettés ? Vous ne pensez qu’à l’argent ? Parfait, c’est ce qu’ils veulent ! Et pendant que nous calculons nos chances en rêvant de fortune, Ils détruisent notre monde » (p. 122).
En ce sens, Offworld ne se distingue pas de Goldcorp, multinationale spécialisée dans l’exploitation de mines d’or et qui opère par le biais de compagnies-relais établies dans les pays d’accueil. Au Guatemala, son cheval de Troie s’appelle Montana Exploradora de Guatemala. [1] Pour faire oublier son rôle dans la destruction de l’environnement et dans la dépossession des communautés indigènes, elle multiplie les campagnes publicitaires destinées à prouver qu’elle joue pleinement son rôle dans le développement économique et social de populations marginales jusqu’alors abandonnées par l’État (figure 3).

Figure 3. Le discours cynique de Goldcorp : « Goldcorp est un chef de file de la production aurifère qui met l’accent sur les pratiques minières responsables. Elle possède des installations sécuritaires caractérisées par de faibles coûts d’exploitation dans l’ensemble des Amériques. Un portefeuille d’actifs de longue date et de grande qualité permet à l’entreprise de produire de la valeur à long terme » [2].
Dans ce domaine, James Luceno est sans aucun doute l’un des auteurs Star Wars les plus critiques – peut-être parce qu’il a été menuisier et guide touristique en Amérique centrale avant de s’affirmer comme écrivain à succès. Dans Star Wars : Darth Plagueis (2012), il attaque de front les compagnies transgalactiques qui minent le pouvoir de la République et font le jeu du côté obscur de la Force. C’est le cas du Clan Bancaire Intergalactique (ou Réseau bancaire InterGalactique) dont l’influence s’étend depuis les mondes du Noyau jusqu’aux plus lointaines planètes de la Bordure extérieure. Ses membres font et défont les gouvernements, influencent les élections, corrompent tout ce qu’ils touchent grâce à l’argent qui coule à flot dans leurs caisses. Selon Luceno, Coruscant est devenue un panier à crabes où les lobbyistes de tout poil passent leur temps à séduire les sénateurs dont ils ont besoin pour faire passer leurs projets, comme ils le font à Washington dans les coulisses du Congrès. [3]
C’est ainsi qu’à la tête de Damask Holdings, Hego Damask (autrement dit Dark Plagueis) veut s’emparer des gisements de plasma de la planète Naboo en offrant en échange à ses dirigeants la possibilité de participer pleinement aux activités économiques et financières de la galaxie, dans un vaste espace de libre-échange garanti sans taxes ni barrières douanières. Il s’agit en fait d’un pillage en règle dont les habitants de la planète seront les premières victimes. Comme le dit Palpatine, l’apprenti du Seigneur Sith : « ce sont les pures tactiques déployées par la République pour inciter les mondes primitifs à abandonner leurs ressources » (p. 160). À l’heure où l’Europe vient d’entériner un traité de libre-commerce avec le Canada et où l’on vante les mérites d’un partenariat stratégique avec les pays de l’Amérique centrale et de la Caraïbe, les machinations du Clan Bancaire Intergalactique ont de quoi faire réfléchir…
Personnage important de la Guerre des clones, Pors Tonith est l’illustration de ces affairistes corrompus et corrupteurs qui s’enrichissent aux dépends des plus faibles : « Il considérait le business comme une guerre. Depuis des générations, sa famille pratiquait par la force le rachat sauvage d’entreprises, et même de planètes entières s’il le fallait ». [4] Heureusement, de telles pratiques ne peuvent pas exister dans notre monde et l’infâme Pors Tonith n’a vraiment rien à voir avec Wilbur Ross, milliardaire états-unien spécialisé dans le rachat d’entreprises en difficulté revendues avec profit après restructuration et licenciements en masse. Surnommé « le roi de la faillite », cet honorable homme d’affaires a été choisi par Donald Trump pour occuper le poste de secrétaire du commerce des États-Unis…
Même après sa dissolution officielle, les héritiers du Clan Bancaire Intergalactique ont maintenu leur emprise sur une grande partie de la galaxie à partir de Muunilinst, leur base originelle (figure 4). En mission secrète sur cette planète vouée à la finance, Leia rappelle à Luke et à Han que son surnom est « Le pays de l’argent » (Moneyland dans la version originale) et que presque tous les gens fortunés de la galaxie doivent une partie de leur richesse aux banquiers muuns qui ont infiltré tous les secteurs de l’économie. [5]

Figure 4. Harnaidan, la capitale de Muunilinst, arbore une architecture néoclassique qui n’est pas sans rappeler le secteur financier de New York, autour de Wall Street (source : https://www.anakinworld.com/encyclopedie/muunilinst).
Dans L’ultime épreuve (2015) de Troy Denning, c’est à nouveau un consortium minier, le Groupement d’Exploitation Technologiques (GET) qui joue le rôle du méchant. L’empire ayant disparu, les héros de la saga luttent désormais contre des entreprises sans foi ni loi qui écrasent la concurrence grâce à leurs énormes moyens financiers. À l’image de leurs modèles bassement terrestres et contemporains, les véritables propriétaires se dissimulent derrière une nébuleuse de compagnies imbriquées les unes dans les autres. C’est ainsi que le GET appartient à la Galactic Syndicated, dirigée par les frères Qreph, deux chevaliers d’industrie aux pratiques douteuses. Quand Lando Calirissian proteste contre des logiques de rentabilité qui conduiront au moins un million de mineurs à perdre leur emploi, Marvid répond cyniquement, comme tant d’autres experts financiers soucieux d’accroître les profits des entreprises et les dividendes de leurs actionnaires : « L’économie est une science cruelle » (p. 69).
Et, comme de bien entendu, il s’agit aussi d’une société off-shore : « N’oubliez pas que la faille de Chiloon est située en dehors de toute juridiction galactique. Caitheus et Marvid enfreignent de nombreuses lois. Leur quartier général doit être installé dans un lieu où les autorités ne peuvent les atteindre » (p. 119). Sur Terre, Galactic Syndicated aurait pu s’installer à Panama, au Luxembourg ou dans les îles Caïmans…
2. Star Wars et le procès des modes de destruction capitaliste
Dans un système économique qui s’inspire de notre actuelle division internationale du travail, ce sont des planètes-ateliers, aux activités spécialisées, qui alimentent les principaux marchés consommateurs de la galaxie, c’est-à-dire des mondes entiers devenus incapables de subvenir à leurs propres besoins. Pour les entrepreneurs de Star Wars, comme dans toute économie libérale, la meilleure façon de réduire les coûts tout en augmentant les marges bénéficiaires est de délocaliser les unités de production vers des zones bénéficiant d’avantages comparatifs incontestables : une main-d’œuvre qualifiée et bon marché, une législation locale peu regardante (droit du travail, environnement, fiscalité), d’excellentes conditions de transport... Comme l’indique James Luceno dans Labyrinth of Evil (2005) pour expliquer la disparition du secteur industriel de Coruscant : « Les Works ont été une zone industrielle dynamique jusqu’à ce que l’accroissement des coûts entraîne le départ vers d’autres mondes de la production des vaisseaux spatiaux, des robots et des matériaux de construction » (p. 174).
C’est ainsi que Bilbringi est devenu le plus important centre de production de chasseurs et de vaisseaux de guerre de l’Empire grâce à des installations industrielles de pointe regroupées au sein d’unités de production particulièrement bien défendues, les « X-7 Factory Stations ». La planète Kuat fait aussi partie des bénéficiaires de ce processus de globalisation des échanges qui a touché l’ensemble de la galaxie. Sous l’Ancienne république, à l’instigation des familles régnantes, elle est devenue un gigantesque centre de production de véhicules interstellaires. Rassemblant plusieurs millions d’ouvriers dans des installations situées en orbite de la planète (figure 5), les Chantiers Navals Kuat (CNK) se sont spécialisés dans la fabrication d’unités de très grande taille, notamment pour le secteur militaire (destroyers stellaires de classe impériale).
Dans L’héritage de Corran Horn (2003), Michael Stackpole nous apprend que les CNK ont allègrement exporté sur d’autres mondes leurs techniques de production. C’est le cas de Xa Fel, un monde du secteur Kanchen qui fournit l’hyperdrive des vaisseaux assemblés en orbite de Kuat. L’atmosphère y est tellement polluée que, pour se rendre sur place, les visiteurs doivent porter des vêtements protecteurs et un masque à oxygène. La République a essayé d’imposer aux dirigeants des chantiers des mesures de décontamination mais, faute de moyen de pression, elles sont restées sans effet.

Figure 5. En orbite autour de la planète Kuat, les chantiers navals se sont mis au service du complexe militaro-industriel favorisé par la politique impériale (source : https://game-guide.fr/97535-swtor-kuat-la-planete-des-chantiers-navals/).
Afin de limiter les nuisances liées à la production manufacturière (bruit, congestion, pollution...), les activités les plus sensibles ont été installées sur des planètes dont les écosystèmes subissent de plein fouet les conséquences d’un développement industriel dévastateur. Le système de Fondor a ainsi été entièrement bouleversé par les ateliers de construction navale qui profitent de l’abondance des minéraux extraits de son sous-sol, de ses lunes et de ses astéroïdes : « Alors que les immenses sociétés qui dominaient Bilbringi, Kuat, Sluis Van et les autres centres de chantiers navals faisaient un effort minimal pour préserver l’environnement, rien n’avait été prévu en ce sens à Fondor ». [6]
Vieille planète industrielle spécialisée dans la fabrication de robots, Mechis III a connu le même sort. Sa surface est presque entièrement recouverte par des usines, des chaînes de montage et des unités administratives. Dans les interstices de ce monde inhumain s’étendent les zones d’habitat et les décharges où s’entassent les déchets de la production. [7]
C’est néanmoins sur la planète Duro qu’une industrialisation sans contrôle, à la recherche d’un profit immédiat, a eu les conséquences les plus dramatiques : ce monde jadis verdoyant est désormais un vaste désert que ses habitants ont fui pour aller se réfugier dans des cités orbitales. Les pluies qui s’abattent régulièrement sur un sol devenu stérile sont chargées de poussières toxiques, héritage du temps où les cheminées des usines crachaient en continu de lourds nuages de fumée noire (figure 6).

Figure 6. La planète Duro a été complètement ravagée par des millénaires d’exploitation industrielle intensive (source : http://www.moddb.com/mods/thrawns-revenge/images/duro-map1).
Comme dans les anciennes cités manufacturières d’Amérique du Nord, à Chattanooga par exemple, un programme de réhabilitation des friches industrielles a été mis au point pour tenter de rendre à la vie des terrains pollués par les effluents chimiques et les métaux lourds. Des expériences ont été menées pour assainir les marécages, purifier les sols et rendre l’air respirable, mais les résultats sont limités par le manque de moyens techniques et financiers mis en œuvre au plus haut niveau de l’État : « Ils étaient parvenus à aménager six écosystèmes miniatures et à assainir une vaste superficie de marais, produisant ainsi une terre purifiée idéale pour la reconstruction. À terme, ils étaient arrivés à créer la première surface arable de la planète, depuis le départ des Durosiens ». [8]
La situation de Duro n’est pas imaginaire : les descriptions apocalyptiques de ces terres rendues impropres à la vie humaine ne font que refléter l’angoisse de nos sociétés devant les dégâts écologiques provoqués par le siècle du machinisme et du fordisme (figure 7). En repoussant les activités polluantes vers les pays du Tiers Monde, et plus particulièrement en Chine ou dans les pays-ateliers d’Amérique latine, les grandes compagnies transnationales ne font que déplacer le problème sans le résoudre. Le leitmotiv du « développement durable », largement exploité par la classe politique pour faire semblant de répondre aux attentes de la société civile (celle des nations du Nord), n’aboutit le plus souvent qu’à des mesures du type « durosien » : un simple cosmétique appliqué sur des blessures inguérissables.

Figure 7. Production de sables bitumineux en Alberta (Canada).
Source : http://www.futura-sciences.com/planete/actualites/
C’est pourquoi la princesse Leia, envoyée sur Duro pour orchestrer la régénération de la planète, a été transformée par Kathy Tyers, auteure de Point d’équilibre, en porte-parole des lobbies écologistes états-uniens. Sur cette planète morte, elle doit se battre en permanence contre une administration centrale qui refuse de lui accorder les moyens nécessaires pour mettre en œuvre son programme : « Elle en avait assez de cette — nouvelle race de bureaucrates qui proliféraient à présent sur — Coruscant. » (p. 42).
À bien des égards, la situation de Fondor ou de Duro rappelle celle de la zone frontalière entre le Mexique et les États-Unis, où prospèrent les gigantesques usines d’assemblage connues sous le nom de maquiladoras. Le système a été établi en 1965, quand le gouvernement américain a mis un terme au programme qui permettait aux ouvriers agricoles mexicains (braceros) de travailler comme saisonniers dans les grandes exploitations agricoles de Californie.
La création de ces unités de production permettait aux entrepreneurs du Nord d’utiliser une main-d’œuvre peu qualifiée mais bon marché, non assujettie aux règles sociales en vigueur sur leur propre territoire. Pour le gouvernement états-unien, la mesure visait aussi à fixer sur place une partie des candidats à l’immigration qui franchissaient illégalement la frontière. Aux yeux des dirigeants mexicains, cette activité permettait de favoriser le développement d’un espace périphérique et marginalisé, frappé de plein fouet par les mesures de restriction imposées par le grand voisin anglo-saxon.
La répartition des tâches entre les deux pays s’est concrétisée par la construction d’usines jumelles (twin plants), situées de part et d’autre de la limite internationale. Au nord, un établissement rassemble les fonctions d’encadrement et de gestion (c’est le rôle dévolu à Coruscant). Au sud (l’équivalent géopolitique et économique de Fondor), l’usine d’assemblage voit son rôle limité à des fonctions productives centrées sur le travail manuel, en profitant d’une législation moins contraignante qu’aux États-Unis (figure 8).

Figure 8. Les usines maquiladoras de Tijuana dans le film de science-fiction d’Alex Rivera, Sleep Dealer (2008).
Dans le domaine des politiques environnementales, la situation de Duro s’inspire aussi directement de la zone frontière entre le Mexique et les États-Unis. En 1983, les deux pays ont signé une convention de coopération pour la protection et l’amélioration de l’environnement dans la zone frontalière (Convention de La Paz), convention qui a été renforcée en 1992 par un nouveau Plan environnemental intégral frontalier. Ces accords avaient pour but d’accroître la coopération dans le domaine de l’environnement, de réduire les taux de pollution et de développer des programmes de recherche sur les milieux et les écosystèmes de la région transfrontalière.
Cependant, comme dans le cas de Duro, ces différents traités n’ont eu que des effets limités : malgré toutes les déclarations d’intention, l’environnement reste menacé par l’accroissement des activités industrielles et par l’explosion de la population urbaine dans une région caractérisée par son climat semi-désertique (figure 9). Ce n’est pas un hasard si, au cours d’une enquête réalisée par le Colegio de la Frontera Norte au début des années 1990, 10 % des entreprises installées dans la zone frontière reconnaissaient qu’elles avaient été attirées par le caractère plus souple de la législation mexicaine sur l’environnement. Au total, plus du quart des maquiladoras considéraient ce chapitre comme essentiel pour justifier leur délocalisation au sud de la limite internationale.

Figure 9. Les égouts et les effluents industriels les plus divers se jettent sans contrôle dans le cours d’eau qui traverse Tijuana. Sur les rives, dans des cabanes de fortune et même au fond des canalisations souterraines survivent des centaines de déclassé.es (photo : Alain Musset, 2014).
Ce sont les mêmes arguments qui sont avancés dans les romans Star Wars pour expliquer l’installation des industries les plus polluantes sur des planètes éloignées de Coruscant. Dans Renaissance, roman de Greg Keyes appartenant au cycle du Nouvel Ordre Jedi, les pilotes de la Nouvelle république se rassemblent sur la planète Eriadu et sont immédiatement confrontés à une atmosphère empuantie par des vapeurs d’hydrocarbure, de soufre, d’ozone et d’ammoniaque. Les paysages urbains sont scandés par d’immenses gratte-ciel industriels qui se découpent sur un ciel jaune pâle, obscurci par les fumées d’usine. L’explication de ce désastre écologique est donnée par Corran Horn, chef du groupe chargé de combattre l’envahisseur Yuuzhan Vong : « Ici, on fabrique les produits au moindre coût au mépris de l’environnement. L’odeur est un sous-produit de l’industrie. » (p. 101).
On comprend donc facilement pourquoi la question environnementale occupe une place aussi importante dans cette « galaxie lointaine » qui reflète toutes les inquiétudes et les préoccupations de la société états-unienne. Pour un habitant d’Austin (Texas) ou de Phoenix (Arizona), les planètes de Fondor et Duro ne sont pas situées à des années lumières de leur domicile : elles sont à portée de la main et ont pour nom Matamoros (Tamaulipas), Nogales (Sonora) ou Ciudad Juárez (Chihuahua).
3. Exploitation et dépossession : les deux mamelles du capitalisme transgalactique
Dans les années 1990 et le début des années 2000, la notion de saccage écologique a été l’un des angles d’attaque les plus utilisés par les auteur.es de la galaxie Star Wars pour contester les modes de production (ou de destruction) capitaliste. En 2015, Dans La cavale du contrebandier (2015), Greg Rucka n’hésite pas à utiliser des termes qui parlent à son public de jeunes adolescents désormais avertis des dangers d’un développement insoutenable. Pour décrire la situation de Cyrkon, un monde autrefois idyllique, il évoque une évolution que, sur notre Terre, toutes les Conférences Internationales sur le Climat se sont acharné à dénoncer : « Depuis lors, son atmosphère était devenue néfaste. Les industries et les commerces avaient chargé l’air de toxines. Les températures avaient grimpé en flèche, la surface s’était mise à chauffer et le résultat était un effet de serre galopant qui signifiait que, désormais, si on n’habitait pas sous un dôme, on était mort, point barre » (p. 52)

Figure 10. La capitale de Cyrkon, Motok, est protégée par un dôme qui l’isole d’une atmosphère tellement polluée que l’air est devenu irrespirable (source : http://starwars.wikia.com/wiki/Motok?file=Motok.png).
Cependant, au fil du temps le regard critique s’est élargi et approfondi – peut-être parce que la crise de 2008 a mis en évidence l’iniquité d’un système économique fondé sur la course effrénée au profit et sur le mépris des êtres humains qui en sont victimes. Sans verser dans une analyse marxiste des rapports de production et de domination, les bandes dessinées et les romans de la saga Star Wars se sont de plus en plus intéressé aux classes sociales dont la force de travail est exploitée par des dirigeants sans scrupule : paysans, ouvriers, mineurs… Comme au bon vieux temps de l’Internationale socialiste. C’est ainsi que pour Jude Watson la sinistre compagnie Offworld était « une société sans scrupule qui réduisait en esclavage des milliers d’humains de toute origine pour exploiter ses vastes complexes miniers » (La marque royale, 2002, p. 88). Dans La dynastie du mal, Drew Karpyshyn n’hésite pas à utiliser les mêmes termes pour qualifier la Compagnie minière de la bordure extérieure (COMBE) qui exploite les mines de cortosis sur Apatros : « une firme célèbre pour traiter ses employées sous contrat comme des esclaves » (p. 119).
Ce n’est d’ailleurs pas que l’entreprise privée qui est en cause. En effet, sans revenir aux questions essentielles posées par Mehrdad Vahabi sur l’État prédateur et son rôle dans la dépossession des plus vulnérables au nom du bien public (notion largement contestable quand elle ne sert qu’à justifier la sainte alliance établie entre le politique et le financier) [9], il ne faut pas oublier que, dans Star Wars, les compagnies transgalactiques fonctionnent en symbiose parfaite avec les structures de l’Empire.
Même dans les époques les plus anciennes du calendrier starwarsien, la question sociale occupe désormais une place centrale. C’est le cas avec L’aube des Jedi (2015), de Tim Lebbon, située en l’an 25 793 avant l’an zéro de la saga qui correspond à la bataille de Yavin (Épisode IV, Un nouvel espoir). Dans ce roman qui parle des débuts de la lutte millénaire entre les Sith et les Jedi, on apprend que l’exploitation des ouvriers de Nox est une règle clairement établie : « Les gens naissaient et mouraient sur Nox, et leur vie, du début à la fin, était toute tracée. La majorité d’entre eux gagnait tout juste de quoi survivre dans un des dômes, en s’accordant parfois quelques fantaisies. Mais quitter la planète exigerait bien davantage que ce que la plupart pouvaient économiser durant toute une vie. Et nul doute que les entreprises n’avaient aucune envie que ça change » (p. 226).
Drew Karpyshyn va plus loin encore dans son roman La voie de la destruction (2008) puisqu’il explique comment les injustices subies par le jeune Des dans les mines d’Apatros l’ont poussé à suivre la voie des Sith (figure 11). Même s’il bascule du Côté Obscur de la Force, sa révolte contre des patrons avides et des contremaîtres brutaux lui assure un vrai capital de sympathie de la part de lecteurs et de lectrices plutôt habitué.es à suivre les aventures des nobles chevaliers Jedi. Il est vrai que la Compagnie minière de la bordure extérieure exploite au maximum ses employés qui travaillent dans des conditions épouvantables et pour un salaire ridicule. Particulièrement robuste, Des a commencé à travailler à treize ans et, comme tous les autres mineurs, il est payé selon la quantité de minerai qu’il peut extraire chaque jour au péril de sa vie.

Figure 11. Ce sont les terribles conditions de vie des mineurs d’Apatros qui ont poussé le jeune Des à embrasser le Côté Obscur de la Force et à devenir Dark Bane, l’impitoyable seigneur Sith (source : http://starwars.wikia.com/wiki/Apatros?file=Darth_Bane_DoE.jpg)
Dans son analyse de la situation de la classe laborieuse sur Apatros, Karpyshyn ne néglige aucun aspect de la sociologie et de l’économie locales. Ainsi, la compagnie a ses propres boutiques dont les tarifs sont prohibitifs mais qui offrent des facilités de crédit permettant de maintenir les mineurs et leur famille dans un servitude perpétuelle : « le marché proposait des produits de base, à des prix exorbitants. La boutique était heureuse de faire crédit, la COMBE proposant des taux d’intérêt bien évidemment scandaleux ; elle s’assurait ainsi que les clients travaillent encore davantage dans les mines pour régler leurs achats » (p. 32). En outre, on retient sur le salaire des employés le coût du transport entre leur domicile et leur travail ainsi qu’un loyer excessif pour des logements insalubres. Pour se protéger en cas d’accident, les mineurs ont le droit de prendre une assurance, mais son prix et l’absence de véritables garanties font reculer même les plus productifs d’entre eux (figure 12).

Figure 12. Dans la bande dessinée Chewbacca : Les mines d’Andelm, l’infâme Jaum utilise la même technique que la COMBE sur Apatros (une dette contractée auprès de l’employeur) pour contraindre Arrax et sa fille à travailler dans l’enfer des cavernes de scarabées (Gerry Duggam et Phil Noto, Chewbacca : Les mines d’Andelm, Nice, Panini Comics, 2016).
Au final, comme le souligne l’auteur : « Peu de mineurs atteignaient l’âge béni de la retraite. Les tunnels ôtaient la vie d’un grand nombre d’entre eux, retenant leurs corps prisonniers dans des éboulements ou en les brûlant vivant lorsqu’ils venaient à rencontrer une poche de gaz explosif dans la roche […] les hommes de soixante ans en paraissaient quatre-vingt-dix » » (p. 27). S’il ne s’agissait que d’un souci de d’efficacité et de rentabilité destiné à remplir le plus rapidement possible les poches des actionnaires de la COMBE, ces conditions de vie seraient déjà en soi odieuses. Mais Karpyshyn y voit aussi et surtout une stratégie délibérée de l’entreprise pour affaiblir ses travailleurs, les soumettre et les dominer. Son but est de faire en sorte qu’abrutis par le travail et les privations, les mineurs finissent par accepter leur sort et oublient jusqu’à l’idée même de se rebeller.
Comment ne pas voir dans ces descriptions de cette planète imaginaire l’écho de situations largement répandues sur Terre ? L’auteur de La voie de la destruction semble avoir pris comme modèle les écrits d’Engels sur La situation de la classe laborieuse en Angleterre, quand il évoque le sort des malheureux et des malheureuses qui dépendent des seules capacités du chef de famille : « Lorsque l’homme, dont le travail fait vivre essentiellement la famille et dont l’activité pénible exige le plus de nourriture – et qui par conséquent succombe le premier – quand cet homme tombe tout à fait malade, c’est alors seulement que commence la grande misère, c’est seulement alors que se manifeste, de façon vraiment éclatante, la brutalité avec laquelle la société abandonne ses membres, juste au moment où ils ont le plus besoin de son aide ». [10]
D’ailleurs, le même Karpyshyn n’hésite pas à parler des inégalités sociales comme la principale cause des tensions qui agitent la République et menacent de la faire éclater – même si les nationalismes, les communautarismes et les revendications ethniques jouent un rôle crucial dans les guerres que les Jedi sont chargés d’éviter et que les Sith attisent en sous-main pour assouvir leur soif de pouvoir.
Dans La dynastie du mal (2011), il évoque ainsi la situation de Doan dont l’insolente prospérité repose sur l’exploitation de minerais rares qui sont exportés vers les centres industriels les plus importants de la galaxie : « Mais cette richesse restait l’apanage de la noblesse, laquelle menait une vie d’opulence dans les propriétés très privées dominant le reste de la planète. La très grande majorité de la population était composée des castes inférieures, des êtres condamnés à passer leur existence à des tâches physiques épuisantes ou à des emplois subalternes, sans aucune possibilité d’évolution » (p. 34). Loin des palais où se prélassent les membres de l’oligarchie locale, les damnés de la terre vivent dans des taudis et parfois dans des cavernes. Comme les ouvriers de Paris dépeints par Zola dans L’assommoir, ils se retrouvent la nuit dans des cantinas sordides pour boire des alcools forts et oublier leur vie de misère.
À l’exploitation pure et simple des ouvriers et des mineurs s’ajoute la dépossession systématique des communautés locales dont les ressources « naturelles » sont appropriées, le plus souvent avec l’appui de la puissance publique, par des compagnies prédatrices. C’est en particulier le cas de Bandomeer : « Ce monde était voué à la désolation. La plupart des mines étaient contrôlées par les grandes compagnies qui empochaient les richesses ainsi amassées. Rien ne revenait aux indigènes » (figure 13). [11]

Figure 13. Les seules constructions importantes de Bandomeer abritent les installations des compagnies minières (source : http://www.thestarwarsrp.com/forum/index.php?threads/republic-worlds.64210/
Sur Télos, la compagnie Unify n’hésite pas à faire des forages sur les terres sacrées des Télosiens, sans respect pour leur culture et leurs traditions. Un parti écologiste a été formé mais il a été interdit par le gouvernement : « nous avons été les premiers à protester lorsque les autorités ont confier nos lieux les plus sacrés à la tutelle d’Unify. Nous lui avons demandé pourquoi nos terres ont été mises sous le contrôle d’intérêts privés, pourquoi nous devions nous fier à la parole d’une corporation qui prétend sauvegarder et protéger ces mêmes terres ». [12]
Lors d’une entrevue réalisée en 2014 pour Divergences2, Isabel Turuy Patzan, maire du village d’el Pilar II à San Juan Sacatepéquez (Guatemala) se plaignait des mêmes crimes commis contre sa communauté par l’entreprise CEMPRO : « Ils ont aussi détruit nos collines sacrées. L’une d’entre elles a été privatisée, ce qui est un attentat contre notre cosmovision maya car elle avait pour nous une grande importance. C’est là que nous faisions nos offrandes comme le faisaient nos ancêtres avec les fruits de la Terre. Mais malheureusement, avec l’arrivée de l’entreprise, ils ont tout privatisé et depuis nous n’avons plus accès aux lieux sacrés de cette zone » [13]
Dans Danger mortel (2003), roman appartenant à la série pour adolescent.es Les apprentis Jedi, Jude Watson évoque aussi le cas de la planète Sorrus dont les habitants ont été dépossédés de leurs terres par des sociétés engagées dans une agriculture intensive qui dévaste l’environnement. Les grandes infrastructures réalisées avec l’appui de l’État ne profitent qu’aux secteurs dits « modernes » de l’économie, au détriment des communautés traditionnelles repoussées vers les marges du désert. Le constat du chef de la tribu est amer : « Nous avions des plantations et ne manquions de rien. Certes, l’existence était rude, mais elle nous convenait. Puis, il y a dix ans, on construisit un barrage. L’eau fut déviée de nos terres. Vinrent ensuite des hivers particulièrement rigoureux, une année après l’autre. Les quelques champs encore cultivables devinrent arides » (p. 62). Ce ne sera pas la première ni la dernière fois que des petits paysans auront été spoliés au nom du développement et du bien public, avec la complicité active d’un État corrompu.
Dans les romans et les bandes dessinées Star Wars qui osent porter un regard critique sur les réalités économiques d’une galaxie qui n’est pas si lointaine, on est loin des sirènes apaisantes du capitalisme « social » ou du capitalisme « créatif » cher à Bill Gates et aux défenseurs naïfs (ou serviles) d’un capitalisme à visage humain…
Conclusion : Prolétaires de toute la galaxie, unissez-vous !
Quand les conditions d’exploitation deviennent insupportables (ou quand la prise de conscience du caractère inique de ces conditions finit par s’imposer), un seul chemin s’ouvre pour les opprimés et les dépossédés de la galaxie Star Wars : celui de la révolte.
C’est ainsi que sur Doan, une autre planète minière décrite par Drew Karpyshyn dans La dynastie du mal, un mouvement de résistance réclamant l’égalité politique et sociale a fini par structurer les ouvriers scandaleusement exploités par la caste des nobles. Si la répression a été terrible, elle n’a fait que renforcer la détermination des principaux meneurs, parmi lesquels Draado, contaminé par le Côté Obscur mais dont les discours fascinent des opprimé.es qui n’ont plus rien à perdre : « Les nobles ne nous respecteront pas tant qu’ils n’auront pas appris à nous redouter, insista-t-il en regardant les autres. Nous devons leur faire craindre pour leur vie. Il faut que nous en emplissions leur cœur de terreur » (p. 115).
Il y a du Robespierre dans ce mineur d’une planète perdue de la Bordure extérieure – le Robespierre qui, dans son discours du 17 pluviôse An II de la République, s’exclamait : « Le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante ». [14]
Cependant, dans la galaxie Star Wars, les révoltes populaires contre les classes dominantes, le plus souvent noyées dans le sang, semblent l’écho distant du quatrième couplet de l’Internationale : « L’engrenage encor va nous tordre : /Le capital est triomphant ; /La mitrailleuse fait de l’ordre /En hachant la femme et l’enfant ». Sur Apsolon, malgré la répression, les travailleurs ont réussi à obtenir de meilleures conditions de vie, et même le droit de vote, en organisant de grandes campagnes de sabotage dans les usines et les centres de production. Cette « révolution pacifique », pour reprendre l’expression de l’auteure des Liens les plus forts et de La fin de l’espoir (2004) n’a malheureusement pas permis d’en finir avec une société fondée sur l’inégalité et le mépris de classe et les tensions accumulées laissent présager la reprise du conflit.
Le sort des mineurs de Bandomeer est encore pire. En l’an 19 avant la bataille de Yavin (Un nouvel espoir), ils ont osé se soulever contre leurs maîtres mais c’est Dark Vador lui-même qui a été chargé par l’empereur d’écraser leur mouvement (figure 14). Mal armés, mal équipés, ils se sont fait tailler en pièces par les stormtroopers chargés de faire régner la loi des compagnies transgalactiques – nouvelle preuve de la collusion entre le pouvoir politique et le capital dénoncée par Mehrdad Vahabi dans ses travaux sur l’État prédateur.

Figure 14. Après l’écrasement de la révolte des mineurs de Bandomeer, les survivants sont déportés vers des camps de détention (Mick Harrison, Douglas Wheatley, Chris Chukry et Dan Jackson, Star Wars : Dark Times. Blue Harvest, Part Three, Milwaukie, Dar Horse Comics, 2010).
Cependant, dans L’aube des Jedi, Tim Lebbon rappelle l’histoire exemplaire et tragique de l’avant-poste minier baptisé « La folie de Dan », d’abord marquée par une catastrophe ayant entraîné la mort d’une centaine de mineurs, puis par une longue grève ponctuée de violents affrontements avec les milices payées pour rétablir l’ordre et la production. Malgré les souffrances, les pertes et les deuils, la ténacité des rebelles, leur esprit de sacrifice et leur capacité d’organisation leur ont permis de racheter la mine à des propriétaires lassés de gaspiller leur argent, puis de la transformer en coopérative ouvrière.
Certes, la victoire est petite, elle est fragile, mais elle offre le droit d’espérer que la lutte contre le capitalisme transgalactique n’est pas nécessairement vouée à l’échec. En effet, il ne faut pas oublier que l’ensemble de la saga Star Wars est placé sous le signe de l’espoir, comme le rappelait Jin Erso aux quelques fous qui ont accepté de la suivre pour s’emparer des plans de L’Étoile noire dans Rogue One, le dernier opus en date de la série : « L’espoir est la base de toutes les rebellions ».