Sylvie Maugis
« Bien vivre et bien vieillir ensemble »
Article mis en ligne le 22 mars 2017

par C.P.

À Soubès, près de Lodève dans l’Hérault, un groupe de douze femmes retraitées a conçu un projet d’habitat collectif sénior locatif, qu’elles ont baptisé « Les coquelicots de Soubès ».
Actuellement, les maisons sortent de terre et seront habitables dans le courant de l’été 2017. Pour parler de cette aventure étonnante, je suis allée à la rencontre de trois d’entre elles : Monique, infirmière retraitée, Françoise, formatrice en psychologie retraitée et Maryvonne, kiné retraitée et à l’initiative du projet.

Sylvie Maugis : Comment est né ce projet ?

Maryvonne : Ce projet a huit ans. Au départ, il réunissait 40 personnes, puis au fur et à mesure du temps qui passait, des embûches, nous sommes resté.es à dix, et deux personnes vont bientôt nous rejoindre.
Il s’agira de douze petites maisons de deux et trois pièces, avec une terrasse et un cellier individuels, accolées deux par deux. Ce ne sont que des locations à loyers modérés, car nous bénéficions de PLS (Prêts Logement Social). Notre but est de réunir des personnes retraitées valides, qui ont encore du dynamisme et l’envie de vivre ensemble, de partager des choses, de participer avec les autres et aussi de s’ouvrir vers l’extérieur, car nous aurons une salle polyvalente, et trois chambres à louer. Ce projet s’est réalisé à Soubès, près de Lodève, car une autre municipalité de l’Hérault n’a pas approuvé le projet et que le Maire de ce village nous a accueilli avec enthousiasme.

La construction de ces maisons est écologique, ossature bois et doublage en chanvre, équipées en énergie positive. De ce fait, la Région nous donnera une très importante subvention. Sur le plan financement, la CARSAT (Caisse d’Assurance Retraite et de Santé au Travail) nous a prêté la somme de 1 million cent cinquante mille euros et a fixé les loyers des douze maisons, le projet s’adressant à des retraité.es. Le coût total de cette réalisation est de presque trois millions d’euros. Nous avons également obtenu d’autres financements pour la construction de deux maisons supplémentaires destinées à des personnes non retraitées, ce qui permettra d’envisager des actions intergénérationnelles. Les loyers des maisons, la location des chambres et de la salle polyvalente serviront à rembourser ces prêts. Les fondations sont déjà faites et nous espérons bien pouvoir nous installer cet été.

Sylvie Maugis : Vous avez toutes les trois le sourire à l’évocation de cette aventure, c’est très émouvant ! Monique, quelle est la motivation de votre grand sourire ?

Monique : D’abord parce que le projet est en train de se réaliser et que nous arrivons au bout de nos peines, mais aussi parce que c’est une autre vie qui commence. J’ai 67 ans, je suis veuve, mes enfants sont loin et depuis que je suis aux Coquelicots, c’est une renaissance pour moi ! Une nouvelle vie, solidaire, entre ami.es. Nous y tenons et nous y allons !

Sylvie Maugis : Et pour vous Françoise ?

Françoise : Pour moi, c’est l’aboutissement d’un rêve. Je cherchais depuis longtemps ce type d’habitat, et ce que j’avais vu restait encore très embryonnaire et peu abouti. Ce qui différencie un projet comme celui-ci, c’est que, au démarrage, il y a eu la construction d’un groupe et ça change totalement l’état d’esprit. Je viens de la Région parisienne et j’ai fait trois séjours auprès du groupe, et là, j’ai senti que j’avais des affinités. Je ne pouvais pas rêver mieux.

Sylvie Maugis : Maryvonne, comment le groupe des « Coquelicots » s’est-il créé ?

Maryvonne : Au début, j’ai proposé à la mairie d’un village de l’Hérault la constitution d’un groupe qui travaillerait et réfléchirait sur un habitat collectif seniors, dans le cadre des projets innovants. C’est ce projet là qui a été retenu, mais le Maire a toutefois décrété qu’il était utopique, donc il est resté sans suite. Utopique ? Ils allaient voir ce qu’ils allaient voir ! Nous nous sommes alors retrouvées à quatre et nous avons monté une association, « les Coquelicots ». Nous avons d’abord lancé une enquête auprès de nos ami.es et de nos proches pour connaître leurs ressentis à propos de notre idée. 40 personnes ont répondu et 20 se sont inscrites dans l’association. Nous avons commencé par rédiger le projet, mais bien vite nous nous sommes heurtées au problème des plans, et lorsque nous avons sollicité des architectes, ils nous ont demandé 5000 euros, ce qui était inimaginable pour nous.

Un jour, nous sommes allé.es visiter un centre pour enfants handicapé.es, voir les fonctionnements et, à cette occasion, nous avons rencontré un homme qui, depuis dix ans, travaillait comme maître d’œuvre dans le centre, sans d’ailleurs avoir d’enfants handicapé.es. Il a d’emblée été enthousiasmé par le projet, de même que séduit par notre éthique, très proche de la sienne. Il a décidé de nous aider et son ami architecte a réalisé les plans gracieusement. Nous avions enfin un projet écrit et les plans. Nous sommes allé.es voir le Conseil départemental qui, malheureusement, nous a laissé tomber au bout de dix mois. Nous nous sommes alors dit « Allez, cela ne fait rien, cherchons ailleurs ! »

Quelques temps après, lors d’un stage, j’ai rencontré une personne qui nous a mis en relation avec le Maire de Soubès, et c’est ainsi que nous avons trouvé le terrain. Je ne crois pas au hasard. Je pense que si le projet est juste, il se construira, et il faut démontrer que nous, des personnes à la retraite, sommes capables de faire et de construire des choses. Nous ne sommes pas uniquement destinées à faire du tricot au coin du feu en regardant la télévision.

Notre projet correspond à un besoin. Nous sommes de la génération du baby-boom, et nous avions conscience que beaucoup de femmes de cette génération ont élevé leurs enfants, n’ont pas eu de longues carrières et, de ce fait, n’ont droit qu’à de modestes retraites. De plus, vu la conjoncture actuelle, leurs enfants, qui risquent de connaître des périodes de chômage, ne pourront pas les aider matériellement. Qui va s’occuper de nous qui sommes dans l’impossibilité de financer une maison de retraite ? Il était temps de nous prendre en charge. Ce n’est pas aux enfants de placer les parents en maison de retraite, c’est aux personnes concernées de décider de ce qu’elles veulent pour leur vieillesse.

D’ailleurs la retraite n’est pas une fin en soi, c’est une deuxième vie qui s’ouvre, et qui dit vie dit création. Donc, c’est le temps de faire des projets, le temps de sortir quelque chose de soi, car tout le monde a des choses positives au fond de soi et il faut les exprimer, les mettre en valeur et les partager. C’est pour cela que ce n’est pas une utopie, ou alors une utopie pratique et c’est l’avenir. Je pense que c’est une des solutions pour éviter la maison de retraite, pour que ce ne soit pas trop cher, pour que nous ne soyons pas à la charge de nos enfants. Ce n’est peut être pas la seule solution, mais c’en est une et ce qui est important, c’est que c’est nous qui le décidons, pas les institutions. Les institutions n‘ont fait que nous mettre des bâtons dans les roues et nous leur démontrerons que nous sommes capables d’aller jusqu’au bout, de le vivre et, croyez moi, nous dénoncerons tout ce qu’elles nous ont fait !

Sylvie Maugis : Pour quelles raisons, à votre avis, les institutions ont-elles mis des freins à votre projet ?

Maryvonne : Parce que ça leur fait peur, et parce que l’idée ne vient pas d’elles. Alors, ça leur échappe et donc ça leur est insupportable. De nombreuses personnes vont faire des choses par elles-mêmes sans que les institutions n’aient la possibilité d’y faire obstruction. Dans notre pays, les gens doivent décider par eux-mêmes. Les institutions préfèrent diriger un tas de moutons dans le rang, qui rapportent de l’argent, car les maisons de retraite rapportent de l’argent. Et là, c’est nous, des retraité.es, qui décidons par nous-mêmes. Je crois que c’est la cause de leur attitude de refus. On veut être actrices de notre vie et ne pas se laisser manipuler… Vous vous rendez compte ?

Sylvie Maugis : De quoi est fait ce lien tissé entre vous depuis huit ans ?

Monique : Nous avons essayé d’expérimenter le vivre ensemble, tout en respectant nos indépendances. Nous sommes parties en vacances en gîtes, nous organisons des sorties culturelles (concerts, expositions, etc.) et, selon nos affinités, nous pratiquons des activités, de la danse ou du réki, par exemple. Nous apprenons ainsi à nous connaître.

Sylvie Maugis : Et c’est difficile ?

Monique, Maryvonne et Françoise : (éclat de rire) Ce n’est pas simple !

Monique : Chacune a ses habitudes et ses manies, d’où l’intérêt d’être chacune chez soi, de pouvoir se rendre visite chez l’une ou l’autre quand nous en avons envie, de nous réunir dans la salle commune. Nous allons instaurer un repas mensuel obligatoire pour parler des difficultés, des projets, etc. La vie en vraie communauté, à nos âges, ce n’est pas envisageable.

Maryvonne : C’est la raison pour laquelle la mise en place du projet a duré longtemps. Nous étions quarante et beaucoup sont parti.es, car ce mode de vie ne leur convenait pas.

Sylvie Maugis : Et par rapport à la mixité ?

Maryvonne : Cinq couples sont venus, malheureusement, soit la femme, soit l’homme ne voulait pas rester. Quelques hommes célibataires sont venus, mais ils sont partis en courant. Est-ce qu’ils ont eu peur de nous ? On ne le saura jamais.

Monique : On le regrette. Cette non mixité n’est pas un choix au départ, mais les hommes fuient leurs responsabilités et ne veulent pas s’impliquer sur ce genre de choses. C’est très macho ! Ils veulent bien s’impliquer dans le foot ou le tiercé, mais dans les relations humaines, ils sont plus hésitants que les femmes. Ils ont tous pris la fuite en apprenant qu’il faudrait être actifs, que le projet ne s’arrêtait pas à la construction des maisons.
En 1968, nous avons réfléchi sur ces questions, nous avons acquis des choses, mais, curieusement, lorsqu’il s’agit de les appliquer… Les hommes se font tirer l’oreille. C’est bien sur le papier, et puis je crois qu’ils auraient aussi aimé diriger le groupe.