
Dans Corniche Kennedy, récit de « minots de Marseille », on retrouve l’atmosphère de Samia (2001) de Philippe Faucon qui, pour la première fois, montrait les jeunes des quartiers de Marseille autrement que par le filtre des clichés habituels délivrés la plupart du temps dans les médias. Déjà, ça respire autre chose, d’autres regards, d’autres connivences, d’autres amitiés, l’éveil des amours, des désirs, des attirances… Il y a aussi le contexte des classes sociales avec le personnage de Suzanne qui rêve, depuis sa villa, des impressions fortes que connaissent les jeunes en plongeant de la corniche. L’endroit est impressionnant et il est interdit de sauter, c’est pourtant un moyen de s’évader pour ces jeunes, se dépasser dans un bref moment de gloire.

Dès le premier plan, Dominique Cabrera révèle son amour de Marseille, magnifique pano sur la baie depuis la mer et les riches villas de la corniche jusqu’au groupe d’adolecent.es, qu’elle filme « dans leur élan vital, leur beauté, leur humanité, leur grâce, leur force, leur poésie, leur liberté. » 20 ans, c’est « l’âge des possibles », c’est aussi l’âge des risques, celui d’être enrôlé dans le crime organisé par exemple. Et c’est là qu’intervient aussi le contexte social qui sous-tend le film et est mis en évidence par la réalisatrice. C’est vivre dans les quartiers au fort taux de chômage, avec la menace de la prison ou de la mort, dans un décor magnifique.

Il n’y a ni les bons ni les méchants dans le film, pas de morale ni de jugements faciles non plus. Il y a des mômes qui sont conscient.es de leur condition sociale, des flics qui ne savent pas comment s’y prendre pour infiltrer la machine mafieuse et endiguer la violence, les règlements de comptes, l’omniprésence de la pègre qui puise sa main d’œuvre dans les quartiers… Les flics et les jeunes délinquants viennent d’ailleurs des mêmes lieux, sont même parfois des anciens potes. Les frontières entre légalité et amitié sont minces, les rôles s’échangent, de même que la réalité sociale de la ville transparaît sans cesse.
La ville est filmée comme rarement, dans une lumière magnifique, tournée certainement hors de la période estivale. Lumière, limpidité, contrastes qui s’accompagnent d’une bande son et de musiques superbes, de dialogues servant magnifiquement le récit et le jeu des comédien.nes. On se souvient longtemps de Mehdi, Marco, Suzanne et les autres.

Corniche Kennedy de Dominique Cabrera est un conte méditerranéen, un état des lieux d’une ville mythique. Une très belle histoire et un beau film.
