
Ce numéro de Réfractions interroge l’actualité et l’avenir de la révolution, en partant de mouvements contemporains, mais sans oublier de voir ce que des conceptions plus anciennes de la révolution pourraient avoir à nous dire sur les révolutions de l’avenir. En ces temps de terreur et d’état d’urgence, où la sidération semble empêcher tant d’entre nous de concevoir un horizon révolutionnaire, toute une partie du numéro est aussi consacrée à la signification des événements récents.
Ce numéro de Réfractions, la revue de recherches et d’expressions anarchistes, a consacré son thème principal au questionnement de ce à quoi devrait ressembler aujourd’hui une transformation révolutionnaire. Peut-elle encore s’inscrire dans la continuité de celles des trois derniers siècles ?
Tandis que nos sociétés voient s’éloigner de plus en plus les perspectives révolutionnaires, les différents contributeurs de la revue se sont interrogés sur le fait que les expériences politiques et sociales prennent le relais d’un renversement de l’ordre établi ou contribue-t-elles à le préparer ?
Pour les un.es la révolution est un concept périmé qui joua un rôle certes important pendant quelques siècles mais qui a déserté la scène politique d’aujourd’hui.
Pour les autres, ils se refusent à entériner la caducité du concept de révolution, convaincus qu’elle se révèle plus nécessaire que jamais, et que les catastrophes vers lesquelles le capitalisme entraîne l’humanité la rende aussi indispensable qu’inévitable.
Pour Tomas Ibanez, la mutation du capitalisme fait qu’au XXIe siècle, il n’y a plus d’en dehors du capitalisme, si bien qu’il n’est plus seulement un système économique, il est une forme de vie qui vise à exercer progressivement une totale hégémonie.
Les mutations idéologiques induite par l’ère de la post modernité dans laquelle nous serions entré.es avec l’acceptation généralisée de l’incertitude, ne permet pas de repêcher les anciennes alternatives pour tenter de changer l’état de choses existant. Pour lui, désormais, la « révolution » s’entend comme une mutation de l’institué, c’est-à-dire un changement radical dans les formes sociales établies, des rapports politiques existants, des modes de vie dominants, sous l’impulsion d’une intense activité politique collective.
Ibanez prête attention aux discours et aux pratiques des jeunes anarchistes avec leur volonté de créer des espaces relationnels libres des contraintes et des valeurs provenant du système social existant. De ces pratiques, il ressort que la lutte contre l’exploitation économique, si elle est toujours présente et nécessaire, ne constitue plus le front principal des luttes et que le prolétariat n’est plus le sujet qui incarne par excellence l’opposition à l’institué.
Aujourd’hui les fronts se sont multipliés et le sujet de la révolution est constitué par tous les sujets qui manifestent une volonté de lutte contre tel ou tel dispositif de domination instauré dans leur champ d’expérience. Il ressort de ces pratiques que le nouvel imaginaire conçoit l’action révolutionnaire comme consistant fondamentalement à se donner les moyens de vivre d’une manière qui, d’une part, défie collectivement les valeurs du système et qui, d’autre part, constitue une arme pour combattre les dispositifs de domination.
Il semble à Ibanez qu’aussi bien le désir de révolution que la volonté de révolution et la certitude qu’elle fait partie du possible, sont des éléments tout aussi nécessaires que l’est l’abandon du vieil imaginaire révolutionnaire.
Cependant, Jean-Christophe Angaut interroge dans sa contribution la fécondité et l’actualité de la tradition de l’anarchisme révolutionnaire, en particulier lorsqu’il s’agit d’imaginer les révolutions du XXIème siècle.
Pour Angaut, les deux traits structurants du concept de révolution sont les notions de projet révolutionnaire et de sujet révolutionnaire. Il y a bien des projets libertaires et des sujets libertaires, mais il lui semble impossible, de rattacher d’une manière univoque l’anarchisme révolutionnaire à une conception de la révolution reposant sur un projet et comme portée par un sujet historique.
D’une part, parce que les anarchistes révolutionnaires du XIXème siècle critiquaient déjà l’idée de projet révolutionnaire sans pour autant abandonner explicitement le concept de révolution. Et d’autre part, contrairement au marxisme, l’anarchisme ne s’est jamais inscrit dans la problématique qui consiste à chercher un sujet révolutionnaire, à l’identifier à telle position objective de classe, à distinguer le concernant une position objective d’une conscience révolutionnaire lui vient du dehors ou du dedans…
Pour Jean-Christophe Angaut, que ce soit sur la question du projet révolutionnaire ou du sujet révolutionnaire, les anarchistes n’ont pas toujours pris conscience de la profonde et féconde inactualité de la pensée anarchiste, ni de la manière dont ce caractère intempestif pouvait la prémunir, au moins partiellement, contre l’air du temps.
Autant dire que s’il y a quelque chose à conserver dans l’anarchisme révolutionnaire, ce ne sera certainement pas des déclarations consolantes sur le caractère inévitable du renversement de la civilisation bourgeoise, mais l’ouverture à des formes de remise en cause radicale et en acte de l’ordre social.
Le reflux de l’idée révolutionnaire au cours du XXe siècle n’est peut-être que la fin d’un certain modèle de révolution, mais rappelle que l’idée de révolution est d’autant plus profonde qu’elle n’envoie pas de préavis ni ne se calque sur un modèle existant.
Pour Eduardo Colombo, la révolution présuppose à un moment ou à un autre, l’action de se révolter ou de s’insurger, elle est alors la négation de l’autorité et du gouvernement. Il regrette qu’aujourd’hui la nouvelle génération regarde la période révolutionnaire comme un temps révolu car pour li le passé nous nourrit.
Pour lui, l’idée révolutionnaire est aujourd’hui délégitimé par un processus idéologique. Le post anarchisme souhaite en finir avec l’anarchisme « classique » et enterrer avec lui l’idée de révolution. Pour lui, la condition post moderne pose la question de la légitimation des « grands récits », du savoir et de l’émancipation, mais l’abandon simple du récit légitimant abolit le sens qui unifie l’action face à l’unité de l’état, et par voie de conséquence, les révoltes sont condamnées au localisme, à l’isolement et à la revendication des droits des minorités.
Évidemment, avec de telles prémisses la révolution ne peut être que désir et fantasme, illusion et chimère. Pour Colombo, en plaçant la problématique sociale au niveau de la contre-culture, des subjectivités contestataires, des positions anti-institutionnelles, on se fait l’illusion d’être à la pointe de la radicalité tout en s’endormant dans le lit du néolibéralisme. Cette idéologie modifie le socle à partir duquel un discours social devient audible, et l’imaginaire révolutionnaire est enfoui sous un discrédit délégitimant en affirmant que toute révolution est totalisante donc totalitaire.
En décentrant la question sociale, en délaissant la critique de la propriété des moyens de production, la lutte des classes et la révolution seront pour des temps meilleurs. Pour Colopmbo, l’imaginaire révolutionnaire doit récupérer sa force utopique car la nécessité de la lutte l’exige.