Christiane Passevant
Des spectres hantent l’Europe
Film documentaire de Maria Kourkouta et Niki Giannari
Article mis en ligne le 27 décembre 2016

par C.P.

Une première projection Des Spectres hantent l’Europe de Maria Kourkouta et Niki Giannari a eu lieu lors du 38e festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier. Des Spectres hantent l’Europe avait été sélectionné pour la compétition des films documentaires.

Depuis le film a été présenté dan plusieurs festivals. Une prochaine projection aura le 7 février 2017 au Forum des images.

Les camps de réfugié.es sont des zones d’arbitraire, d’attentes interminables, de désespoir et même de mort par manque de soins… Des Spectres hantent l’Europe de Maria Kourkouta et Niki Giannari place immédiatement le spectateur et la spectatrice dans la réalité d’une situation insupportable. Le premier plan est fixe et cadré sur les pas d’une foule qui piétine dans la boue, se dirigeant vers une destination indéfinie. La seule certitude est que cette foule fuie et tente de passer vers un ailleurs pour échapper aux bombes et à la misère. Le défilé sans fin se poursuit…

Les queues sont une constante, attendre pour manger, pour boire, pour se laver, pour se soigner, pour des informations, pour passer la frontière, pour un droit à l’école, pour tout… Chaque geste du quotidien s’accompagne d’une attente obligatoire. L’attente est la règle.

Par les regards et les gestes saisis par la caméra, par le choix des cadres, des supports et des types de caméras, les deux cinéastes expriment le quotidien des réfugié.es dans le camp d’Idoméni, à quelques pas de la frontière, entre la Grèce et la Macédoine. Le camp est occupé par une population internationale, kurde, syrienne, pakistanaise, afghane et d’autres encore… Tous et toutes espèrent n’être que de passage, attendent pour avancer sur la route des Balkans vers l’Europe. Les autorisations, délivrées au compte-goutte, sont brusquement interrompues lorsque la communauté européenne interdit, sans explication, cette voie de passage. En réponse à l’attente désespérée des réfugié.es, qui voient les trains de marchandises traverser quotidiennement la frontière et aperçoivent cet « autre côté » à portée de voix, c’est un silence glaçant accompagné de la brutalité des gardes-frontières.

En Grèce, il y aurait au moins 60 000 réfugié.es bloqué.es dans les camps tenus par l’armée et le HCR, des camps où les conditions de vie sont très précaires.

Dans des Spectres hantent l’Europe, l’idée de passage est fondamentale comme l’explique si bien le texte off qui accompagne la seconde partie du film. Il n’est pas seulement question de la catastrophe actuelle et de l’attitude inhumaine et scandaleuse des États, mais ce qui est souligné dans le film, c’est la pérennité de ces exils forcés des populations.

Le documentaire, Des spectres hantent l’Europe, est une véritable plongée dans le camp d’Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne où s’entassent des populations réfugiées : kurdes, syriennes, afghanes… Une multitude de personnes qui, lorsque l’Europe décide de fermer les frontières, bloquent les rails traversant la frontière. Une voix off fait le lien avec la situation actuelle et la mémoire des exils, des errances et des murs dressés hier et aujourd’hui :

« Comment part une personne ? Pourquoi part elle ? Vers où ?
Avec un désir 
que rien ne peut vaincre

ni l’exil, ni l’enferment, ni la mort.
Orphelins épuisés,

ayant faim, ayant soif,
désobéissants et têtus,

séculaires et sacrés
Sont arrivés

en défaisant les nations et les bureaucraties.
Se posent ici,
 attendent et ne demandent rien,
seulement passer.
[…]
Ici, dans le parc bouclé de l’Occident,

Les sombres nations rempardent leurs champs
confondent le pourchasseur et le pourchassé.
À présent, pour une fois encore,
Tu ne peux te poser nulle part

Tu ne peux aller ni vers l’avant ni vers l’arrière.
Tu te retrouves immobilisé.
[…]
Dans ce vaste temps de l’attente,

Nous enterrons leurs morts à la va-vite,
D’autres leur éclairent un passage dans la nuit,
D’autres leur crient de s’en aller
 et crachent sur eux
et donnent des coups de pied
d’autres encore les visent et vont vite verrouiller leurs maisons.
Mais ils continuent, eux, à travers la sujétion,

Dans les rues de cette Europe nécrosée

Qui « sans cesse amoncelle ruines sur ruines »,
au moment même où les gens observent le spectacle,
depuis les cafés ou les musées, les universités ou les parlements.
Pendant que les heures passent
dans cet entre-deux plein de boue,
dans ces terribles barbelés

je comprends 
qu’ils sont déjà passés.
Apatrides, sans-foyer. Ils sont là.

Et ils nous accueillent
Généreusement
dans leur regard fugitif,
nous, les oublieux,
 les aveugles. [1] »