Christiane Passevant
Chroniques d’exil et d’hospitalité. Vies de migrants, ici et ailleurs
Olivier Favier (Passager clandestin)
Article mis en ligne le 7 juillet 2016
dernière modification le 6 juillet 2016

par C.P.

« La Méditerranée est le berceau de l’Europe, elle est devenue entre-temps le théâtre de son plus grand échec. »

Les frontières européennes sont des « zones de mort ». Selon les ONG, depuis 1988, 20 000 personnes seraient mortes aux frontières extérieures de l’Union européenne. En 2014, le nombre des victimes a dépassé 3 500. 90 % des migrant.es ont emprunté la voie maritime en Méditerranée et l’immigration détectée a été multipliée par huit en Italie, par deux en Grèce et de 50 % aux frontières espagnoles. Ce sont les conflits et l’instabilité politique qui poussent, depuis 2011, les populations du Moyen-Orient, du Maghreb, de l’Asie centrale et de l’Afrique à tenter le passage méditerranéen malgré les risques et la politique migratoire de plus en plus restrictive et répressive des États européens.

Deux livres récents sont essentiels et se complètent pour prendre la mesure de la gravité des situations que vivent les migrant.es : avant de partir, pendant le périple vers une Europe de plus en plus forteresse et à l’arrivée dans cette Europe encore mythique pour beaucoup. Deux livres donc : Franchir la mer. Récit d’une traversée de la Méditerranée avec des réfugiés syriens de Wolfgang Bauer, traduit de l’allemand par Leïla Pélissier (éditions LUX) [1] et Chroniques d’exil et d’hospitalité. Vies de migrants, ici et ailleurs d’Olivier Favier (éditions du Passager clandestin).

Lorsqu’il s’agit de vie et de mort, d’échapper à la guerre et à la misère, il est impossible d’arrêter des gens désespérés. Si l’actuelle politique migratoire européenne consiste en général à renforcer les frontières, à construire des murs, des barrières, à faire le choix du repli et de l’inhumanité, il faudra en assumer les conséquences et l’horreur : l’accroissement du nombre de morts, de la violence des passeurs, la peur et la haine.

Peut-on imaginer ici, en Europe, le fait de se voir refuser la liberté de circulation ? Peut-on imaginer l’idée d’un apartheid global ? À force de déni, il faudra bien utiliser les mots du rejet ! Innombrables, mais simples et cruciales sont les questions générées par ces deux livres, qu’il s’agisse de la responsabilité politique ou de la responsabilité collective. Il n’est plus possible de jouer l’ignorance, de dire qu’on ne savait pas.

Comme le récit de Wolfgang Bauer, les témoignages, les portraits, les enquêtes sur le terrain et les chroniques d’Olivier Favier donnent une idée précise de l’ampleur du désastre humanitaire qui se déroule au quotidien, non seulement en mer Méditerranée et dans les pays qui la bordent, mais aussi dans toute l’Europe, à Calais, à Paris…

Durant trois ans, Olivier Favier a fait des reportages, recueilli des témoignages, s’est entretenu avec des migrant.es après les avoir écouté.es et avoir établi des liens de confiance et de respect ; il a écrit sur le phénomène de la migration d’hommes et de femmes qui risquent leur vie pour fuir la guerre pour les un-es, des conditions de vie insupportables pour les autres. Olivier a voulu expliquer les motivations de ces milliers de personnes qui n’ont pas d’autres choix que de risquer leur vie malgré les lois européennes restrictives, les conditions lamentables d’accueil à Calais et ailleurs. À contre courant de toutes les idées et les images de peur véhiculées par la méconnaissance des médias et des rumeurs fallacieuses, il a voulu se faire l’écho des attentes, des rêves, des souffrances et du courage de ces hommes et ces femmes.

Il raconte l’exil, l’attente à Calais — ville entourée de grillages —, la rue à Paris, les rares lieux d’accueil, ou encore un bar clandestin de Rosarno. Sa manière à lui de comprendre et de voyager avec ces rencontres et ces récits de périples incroyables et dangereux, dans lesquels la vie sauve se joue parfois sur un coup de chance, de hasard, ou bien grâce à un geste d’humanité. Dans Paris, sixième ville la plus riche du monde, en septembre 2014 un campement de fortune s’est érigé au milieu d’un boulevard, dans l’indifférence presque générale. En mars 2016, aux portes de l’Angleterre, Olivier Favier a rédigé ses dernières chroniques au moment où la moitié d’un bidonville de plusieurs milliers d’habitants était rasée au sol par les autorités.

Accueillir dignement des êtres humains qui ont fui la guerre, la dictature, la misère n’est visiblement pas une priorité pour les politiques. Comme Wolfgang Bauer, Olivier Favier porte un regard lucide sur les migrations, de même qu’il met en lumière les conditions d’accueil en France de ceux et celles qui ont tout quitté dans l’espoir d’une vie nouvelle.

« Si depuis vingt ans la Méditerranée s’est changée en un cimetière du rêve, la conscience européenne, elle, n’a pas fini de s’y noyer. » Chroniques d’exil et d’hospitalité. Vies de migrants, ici et ailleurs d’Olivier Favier est une alerte sur ce qui se passe ici, dans les sociétés européennes, dans un silence ou une soudaine et fugace mansuétude vite oubliée. Si les classes dirigeantes refusent une aide humanitaire à ces populations sous prétexte de crise ou de "terrorisme" — qui a bon dos —, elles n’hésitent pas cependant à financer des régimes "non démocratiques" pour faire la sale besogne de mort de l’autre côté de la Méditerranée.