
Fascination des masses stimulée, d’une part par la quasi sacralisation de la compétition, et par une structure visuelle et sonore, le stade vise à une mobilisation intégrale des regards en tant que machine visuelle. À l’agressivité des spectateurs découlant d’une visualisation permanente, captée et alimentée par des formes d’hystérie, s’associe une sublimation de l’énergie. Le stade n’est plus seulement un moyen qui permet le bon déroulement des compétitions sportives, mais est désormais l’édifice d’une intense élaboration technologique qui en fait la matrice exemplaire, d’une concentration audiovisuelle unique, d’un spectacle inégalé par le truchement d’un réseau de communication numérique.

Comme le décrit avec force détails Marc Perelman dans son essai, le stade est en effet devenu depuis quelques années un lieu d’expérimentation pour la mise en œuvre des technologies de l’informatique et du numérique. Le Smart Stadium, c’est-à-dire le stade numérique du spectacle sportif, est omniprésent dans de nombreux projets de stades contemporains, ne serait-ce que par une architecture littéralement envahie par le numérique et intégrée au dispositif d’une connexion généralisée. L’objectif de ces technologies numériques est de visser littéralement le spectateur ou la spectatrice à son siège, par le truchement de l’offre de toute une gamme de services. D’élément passif parmi la masse réunie dans le stade, il ou elle est désormais un élément actif de sa propre aliénation en répondant aux sollicitations de son smartphone. À terme, le but évident étant de créer une expérience du stade la plus longue, la plus intense, la plus rentable.
De même, le stade connecté est également un lieu d’expérimentation sécuritaire avec son dispositif unique et sophistiqué de vidéosurveillance. Le spectateur ou la spectatrice n’est plus seulement surveillé-e par des caméras, mais se surveille grâce à l’équipement individualisé fourni par le dit smartphone — à savoir la réception globale des informations et la géo localisation. La surveillance est généralisée et les caméras disposées autour du stade ne sont plus que des éléments, parmi d’autres, de contrôle. Ce qui permet de dire que l’on a atteint alors le degré ultime de l’auto surveillance.

Le Smart Stadium, autrement dit le stade devenu laboratoire pour une technologie numérique, domine les individus fascinés par l’informatique, participant d’une vaste régression des consciences atrophiées. Conséquence d’une recherche avide et vertigineuse de réception, en flux continu, d’informations instantanées, l’attention du public connecté est ainsi captée et donc coupée d’une possible prise de conscience. « Lieu mondialisé et mondialisant du divertissement concentrationnaire de masse, […] le stade oblige à des relations sociales qui sont de purs échanges de marchandises dans un environnement verrouillé par l’informatique ».

Et Marc Perelman de conclure à propos de cette étape du spectacle sportif : « Le spectacle du stade s’auto engendre. Au spectacle dans le stade s’est joint le spectacle du stade pour produire le stade du spectacle. »