Christiane Passevant
In Jackson Heights
Film documentaire de Frederick Wiseman
Article mis en ligne le 7 juillet 2016
dernière modification le 11 mai 2016

par C.P.

Sortie nationale 23 mars 2016

À 86 ans, l’extraordinaire documentariste qu’est Frederick Wiseman nous livre un film remarquable, In Jackson Heights, sur l’un des endroits les plus cosmopolites du Queens à New York.

Rarement un film transporte ainsi, dès le début, le public dans la réalité d’un lieu, dans la proximité de ceux et celles qui habitent le quartier. Une immersion, une balade difficile à décrire, tant les images, les mots, les impressions se succèdent à un rythme effarant : l’immigration, les difficultés quotidiennes, les rêves de naturalisation, la parade — depuis 22 ans — contre les discriminations et l’homophobie, la notion de communauté, la menace d’expulsion des petits commerces, la gentrification en marche pour raison d’opérations immobilières à l’image de Brooklyn, du Bronx ou de Long Island, la junk Food, les vieux, les papiers à obtenir, les conditions de travail, les religions… Tout y passe ! Avec, en fil rouge, le métro aérien qui rythme la vie du quartier… Comme si on y était.

Frederick Wiseman filme le quotidien et reste fidèle à la spécificité de la technique qu’il utilise pour placer le public au cœur de l’événement. « Cette technique, quand elle réussit, donne une impression d’immédiateté. Le spectateur se sent, même temporairement, présent sur place. On lui demande de penser et de ressentir par le biais de ce qu’il a sous les yeux. » (Frederick Wiseman, Filmer la mise en scène du quotidien).

Dans le quartier de Jackson Heights, on ne parle pas moins de 167 langues, les latinos sont en majorité. Cosmopolitisme, regards croisés. Les paroles se croisent aussi, l’inquiétude des commerçants, leur bail n’est pas renouvelé : « Nous serons tous expulsés, c’est le début d’un projet général. En premier, les magasins, ensuite la pub pour de nouveaux habitants. Et les prix augmentent… Un système pour faire vendre les propriétaires actuels. Nous sommes dans un pays capitaliste et le propriétaire fait ce qu’il veut. »Retour ligne automatique
« Ils ont du fric ces investisseurs. Ils vont virer les marchands ambulants, alors ce ne sera plus Jackson Heights ! » « C’est dur pour nous, il faut s’organiser pour nous défendre ! »

Et le métro aérien passe et repasse, encore et encore. On prie dans la rue en anglais, à l’Église en espagnol, on passe de la synagogue à l’école coranique, du toilettage des chiens à la fabrique des ongles, des matchs de foot à la danse orientale… Et dans le local de l’association d’aide aux migrants, une assistante sociale conseille : « À la question : pourquoi voulez-vous devenir citoyen ou citoyenne des Etats-Unis ? Le mieux est de répondre : pour voter. » Mais une des femmes rétorque que pour elle, c’est la constitution et la liberté d’expression.

Dans la rue, une discussion s’engage : « Nos représentants ne viennent jamais et ils sont corrompus. » « Ici, il y a beaucoup de libertés, mais aussi celle de maltraiter et de te virer. »
Si le besoin est « un chien enragé », « Peu importe la couleur ou la religion, l’exploitation est partout. »

La menace est sur Jackson Heights… On regarde déjà presque avec nostalgie les marchands ambulants, le métro qui déboule dans le soir qui tombe… On est dans un coin encore populaire de New York, In Jackson Heights.

Le film de Frederick Wiseman, In Jackson Heights, est sur les écrans depuis le 23 mars et c’est une merveille !