Christiane Passevant
Quartier en guerre. New York années 1980
Seth Tobocman (CMDE. Traduction Julien Besse)
Article mis en ligne le 4 juillet 2017

par C.P.

Quartier en guerre

New York années 1980

Seth Tobocman (éditions CMDE)

Après avoir subi l’école formatée/compétition, la pub/consommation, l’abrutissement de la drogue et la prison, « est-il surprenant que nous devenions le reflet de notre oppresseur ? » Une question qui jaillit parmi les exclu.es, celles et ceux qui ne comptent pour rien, à qui l’on refuse la parole, l’expression, l’existence… Et pourtant dans les années 1980, les années qui marquent le retour plus que jamais à l’ordre du fric, c’est l’éveil d’une marge, celle des squats, toute une frange de la population tente de s’opposer au système des nantis, des propriétaires qui n’hésitent pas à foutre le feu aux immeubles pour le profit…

Alors les sans-abri s’organisent en tant que classe, beaucoup sont toxicomanes, « la rue produit peu de saints, mais quelques héros. »

Ronald Reagan arrive au pouvoir fin janvier 1981, la politique sécuritaire règne et les spéculations immobilières vont bon train dans le quartier populaire du Lower East Side, en plein cœur de New York. La gentrification ou comment chasser une population modeste, ou marginale, du centre ville pour installer des super marchés et des logements pour yuppies. Wall Street et la haute finance n’est pas loin. Profit, not People !

Enough is enough ! dénonçait la population lors de manifestations contre les violences policières. Le profit avant tout et qu’importe le peuple, c’est la doctrine qui, avec la dérégulation de l’économie, prend un essor particulier dans les années Reagan qui marquent la renaissance de la droite états-unienne. La gentrification a depuis fait des émules et s’est exportée un peu partout dans le monde.

Quartier en guerre est un roman graphique magistral, tant par le dessin, les angles et les cadres choisis, le texte, les témoignages, les portraits d’hommes et de femmes que l’auteur a croisé, ou connu, dans une succession de récits qui représentent une décennie de lutte de la population pour défendre son quartier, son parc, son squat. Seth Tobocman joue avec le rythme des images et des textes qui s’y imbriquent, en mouvement, comme avec une caméra de l’intérieur.

Quartier en guerre, c’est de la résistance à l’état brut, exprimée par un dessin, un graphisme puissant, une évocation brutale à l’image des violences que vivaient les protagonistes des récits. Seth en faisait partie et ce roman est aussi un journal des luttes qu’il conclue ainsi : « les circonstances changent et exigent de nouvelles réponses. J’espère que vous pourrez vous servir de tout ça pour construire quelque chose de nouveau et de meilleur. »

En écho, Mumia Abu-Jamal lui répond depuis sa taule : « Il est grand temps d’avancer une nouvelle vision, plus radieuse et plus positive, et de parier sur la libération des pauvres, qui sont quand même la vaste majorité des habitants de cette planète, plutôt que sur la répression. Il n’y a rien à attendre des pratiques politiques tortueuses et des théories économiques stériles qui traitent les gens comme de simples unités de compte. Car ce sont les mêmes politiciens pour lesquels ils ont voté qui leur crachent à la figure, tandis que les économistes les effacent d’un trait de plume.
C’est une véritable rébellion de l’esprit qui doit venir des pauvres eux-mêmes et réaffirmer la valeur intrinsèque de leur humanité, laquelle repose sur ce qu’ils sont plus que sur ce qu’ils possèdent. »

La postface de Quartier en guerre — à la manière d’un bilan des luttes dans lesquelles Seth Tobocman était impliqué — est remarquable pour sa lucidité critique et autocritique, le sens même de cette BD engagée. Cela donne envie de poursuivre les luttes, « de foncer », autrement peut-être… C’est bien « de tenter des trucs insensés juste pour voir. De rencontrer toutes sortes de gens. Il n’y a rien de mal à associer art et politique. L’art s’en trouve amélioré et la politique plus pertinente. »

Ch. 1. LE PEUPLE UNI. Une introduction à la politique du Lower East Side.

Ch. 2. LA LIBERTÉ DE SE PROMENER DANS LE PARC À MINUIT. Les émeutes de 1988 du point de vue d’un promeneur.

Ch. 3. LA TRAGÉDIE DU 319.

Ch. 4. TENT CITY. Les sans-abri s’organisent
« Nous voulons parler en notre nom. Que les gens sachent qui nous sommes et ce que nous faisons. Mais personne ne s’adresse jamais à nous. Lorsqu’ils veulent en savoir davantage, ils demandent à ceux qui gèrent les refuges, aux travailleurs sociaux, aux experts et à la police. Ils ne s’adressent jamais à nous Comme si nous ne comptions pas. » League of Homeless Youth, 1933.

Ch. 5. SIÈGE. Les squatteurs contre-attaquent
« J’ai réalisé que l’enjeu était moi-même ». Diane Di Prima.

Ch. 6. FORTERESSE DE L’ESPRIT. La défense du centre communautaire de « L’ABC ». La ville tente d’expulser les sans-abri de Tompkins Park.

Ch. 7. LES RÈGLES DE LA MAISON. Une tentative de vie collective.
Règles de la maison. Corvées hebdomadaires. 75$ par mois. Ni drogues dures, ni violence, ni racisme, ni sexisme.
« Quand aurons-nous un mouvement qui répare les gens de la même manière que les immeubles ? »

Ch. 8. LA PROVOCATION DU MEMORIAL DAY. La fermeture du Tompkins Square Park.
Mai 1991, Alexis Grady est tué par la police. L’émeute.

Ch. 9. À COUPS DE PIEDS CHEZ JOAN. Des femmes face à la vie en squat
Anarchie = responsabilité.